Le monde onirique de Gabriella Giandelli

Dessin tiré de Mirabile Bestiarium, 2022

Avec Kaléidoscope, le Cartoonmuseum ouvre grand ses portes aux mondes intérieurs oniriques et esseulés de Gabriella Giandelli.

Les fenêtres sont partout dans l’œuvre de Gabriella Giandelli. Carrés géométriques alignés sur les buildings new- yorkais, grandes baies vitrées donnant sur les balcons d’un HLM de la banlieue de Milan ou même miroirs de salles de bains aux ovales réfléchissants… Le trait fin et délicat de ses crayons de couleur affûtés aime ouvrir dans la planche comme un passage subreptice vers l’intériorité des personnages complexes et esseulés qui peuplent ses récits tissés entre rêve et réalité. À 59 ans, cette artiste italienne, amie du grand Lorenzo Mattotti, navigue entre romans graphiques, illustrations de presse pour La Repubblica ou The New Yorker, livres pour enfants, création d’étoffes pour l’iconique maison Memphis ou de pochettes pour les disques de Dominique A – un autre complice. Dès 1994, elle se fait connaître avec la publication de son premier livre, Silent Blanket, traduit en plusieurs langues. Sa patte est immédiatement reconnais- sable : un langage visuel tout en douceur, presque naïf, qui tranche avec un récit plus sombre, parfois sordide, chargé d’une dimension quasi magique. Depuis l’étrange et envoutant conte de Noël cauchemardesque narré dans Interiorae (2015) – son chef-d’œuvre – à la fugue métaphysique en forme de réflexion sur la dilatation du temps de Lontano (2019), la dessinatrice n’a de cesse d’explorer l’insondabilité de la psyché humaine et l’inévitable incommunicabilité des êtres.


Pour la rétrospective que lui consacre le Cartoonmuseum, Giandelli a spécialement conçu un ouvrage d’une délicatesse et d’une poésie inouïes. Entre doux lyrisme fantasmagorique et inquiétante dystopie, Mirabile Bestiarium imagine un monde où l’ère des humains viendrait de prendre fin. Plus un bruit dans les villes. Les appartements, halls d’immeubles, cages d’escalier sont calmes et paisibles, étonnamment bien rangés. Ici, les occupants ont laissé la lumière allumée ; là, dans un vase, un bouquet dont les fleurs n’ont pas même eu le temps de faner. Et partout, de Tokyo à Manhattan, d’altières bêtes géantes colorées ont pris leurs quartiers. Perché sur un toit, un sublime bouvreuil pivoine au ventre incarnat et ailes bleutées, haut comme un bâtiment de sept étages, perce le lecteur de son regard menaçant. Un énorme raton laveur à l’air bonhomme trône dans un salon. Une salamandra infraimmaculata longue de quatre mètres s’empare du sofa d’un luxueux logement. Comme souvent chez l’artiste, la beauté sereine des pages chatoyantes contraste avec la noirceur et la concision d’un texte où elle décrit, avec le détachement d’une entomologiste, comment les placides animaux-titans ont dévoré les hommes… vengeant peut-être la sixième extinction de masse par une septième ?


Au Cartoonmuseum (Bâle) jusqu’au 30 octobre
cartoonmuseum.ch

>Visite guidée en français le 28/08, 14h

>Ateliers pour apprendre à donner de l’épaisseur et de la réalité aux créatures et objets dessinés. À partir de 6 ans (21/08 & 04/09, 14h-16h)

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