Le maître enchanteur

Photo de Vincent Arbelet / Opéra national de Lorraine

À 34 ans, Matthieu Dussouillez prend les rênes de l’Opéra national de Lorraine. Rencontre, autour de la saison 2019 / 2020, avec un directeur dont la volonté est de « ré-enchanter l’existence par la musique ».

Succédant, à Laurent Spielmann1 – qui occupait ce poste depuis 2001 – à la direction de l’Opéra national de Lorraine, l’année du centenaire de la maison nancéenne, Matthieu Dussouillez « respire opéra, pense opéra, vit opéra », résume-t-il dans un sourire. Pourtant rien ne prédestinait l’enfant du Haut-Jura à une telle carrière, lui qui a grandi « dans une famille où personne n’écoutait de classique. Mon père était un fan de Genesis et Pink Floyd. Cette immersion dans le rock progressif a sans doute eu un rôle dans ma vocation. C’est à l’école de musique que j’ai découvert la Symphonie n°9 de Dvořák ou La Moldau de Smetana, des pièces easy listening qui m’ont donné envie de pousser d’autres portes. »

Contrôle de gestion & tuba
Étudiant, il mène de front un cursus en tuba et percussions et un parcours académique brillant : diplômé de l’ICN2, la carrière de Matthieu Dussouillez débute dans le contrôle de gestion pur et dur chez Altsom Transport, mais très vite se fait jour la volonté d’aller vers l’opéra où le mélange de créativité et de rigueur qui l’habite est un cocktail idéal. Stagiaire, puis chargé de production dans l’équipe d’Olivier Leymarie à Dijon, il devient directeur administratif et financier de la maison bourguignonne avant d’y être l’adjoint de Laurent Joyeux3 en 2013. Le duo mène une programmation audacieuse, sortant des sentiers battus et cultivant les fidélités avec des ensembles comme la Cappella Mediterranea de Leonardo García Alarcón que l’on retrouve cette saison à l’Opéra national de Lorraine où son directeur souhaite « programmer chaque année une pièce baroque. Faire le choix d’Alcina de Haendel permet aussi de découvrir Kristina Mkhitaryan, une des plus grandes sopranos actuelles, dans le rôle-titre. » Comparant la direction d’opéra à un « sacerdoce », il propose une saison équilibrée dont un des pivots est un diptyque Beaumarchais : à côté de la « charmante boîte à bijoux pleine d’humour imaginée par Mariame Clément pour Il Barbiere di Siviglia de Rossini, nous aurons des Nozze di Figaro qui, à mon avis, feront date. Je suis très heureux que ce soit le réalisateur James Gray – Little Odessa, The Yards, etc. – qui en assure la mise en scène. Il a l’art de rendre avec finesse les trajectoires des personnages, de révéler les liens familiaux. Son cinéma est à fleur de peau et va comme un gant à Mozart. Cela dit, je m’attendais à une production sans âge, assez sombre, comme dans ses films, mais ce ne sera pas du tout le cas ! Pour lui, il s’agit d’une histoire du XVIIIe siècle qui ne peut en sortir, une histoire chargée sur le plan politique également. »

Art nouveau & Orchestre
Un des pivots du projet de Matthieu Dussouillez est l’exploration de l’Europe musicale à l’époque de l’Art nouveau : « Ce qui m’intéresse est que Nancy a été une formidable ville de création à cette époque : je souhaite voir ce qu’il en est cent ans plus tard. Ce questionnement sera au cœur des saisons futures. Il s’agit d’aborder l’univers lyrique de manière différente de ce qu’on connaît, de rendre les liens entre compositeur, librettiste, metteur en scène et chanteurs moins statiques. Au théâtre l’écriture au plateau se pratique bien. Pourquoi pas à l’opéra ? Pourquoi ne pas impliquer le public non plus dans le processus ? » Voilà piste alléchante pour les années à venir. En attendant, des synergies ont été mises en place entre la programmation de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine – exit l’appellation OSLN – et le substrat de la saison lyrique : « Il est impératif de proposer un voyage global, conçu comme un enchaînement logique de propositions qui se répondent. »

SI VOUS ÉTIEZ…
Un compositeur ? Gustav Mahler parce qu’il n’a pas écrit d’opéra mais était directeur d’opéra
Un instrument ? Le cor
Un opéra ? Die Zauberflöte de Mozart
Un chef ? Leonard Bernstein

Une salle de concert ? L’Auditorium de l’Opéra de Dijon

Une symphonie ? La neuvième de Bruckner
Une pièce de musique de chambre ? Les derniers quatuors à cordes de Beethoven

Un interprète ? Le ténor Siegfried Jerusalem
Un orchestre ? Les Wiener Philharmonike


Un Requiem allemand de Brahms, à l’Opéra national de Lorraine (Nancy), jeudi 26 et vendredi 27 septembre
opera-national-lorraine.fr

1 Voir Poly n°213 ou sur poly.fr
2 École de Management de Nancy – icn-artem.com

3 Voir Poly n°211 ou sur poly.fr

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