Le Corbu via Piano

Lancé en 2005 pour le cinquantenaire de l’édification par Le Corbusier de la Chapelle Notre-Dame du Haut, le projet Ronchamp Demain était inauguré en septembre 2011. Le grand architecte italien Renzo Piano y signe une nouvelle porterie et un monastère somptueusement discrets.

La Chapelle Notre-Dame du Haut © Irina Schrag

L’idée d’attacher un monastère à la Chapelle trônant au sommet de la colline de Bourlémont, chef d’œuvre de béton brut aux courbes naturelles et aux murs enduits de chaux blanche, est ancienne. En 1961, Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier (1887-1965), l’un des plus grands architectes du XXe siècle, « acceptait et donnait même des indications reprenant le modèle des Murondins, bâtiments à peu de frais imaginés pour les camps de jeunes en 1940 », rappelle Jean-François Mathey, président de l’association de l’Œuvre Notre-Dame du Haut (AONDH). « L’emballement du Chapelain, qui voulait pouvoir accueillir 250 personnes a finalement attiré les foudres du Corbu. » Les plans inspirés des Murondins, rappelant le passé Vichyste de l’architecte, furent abandonnés. « Avec l’entrée dans le XXIe siècle, un renouvellement s’imposait : ce haut lieu de pèlerinage de croyants (les 5 août et 8 septembre) mais aussi de tous les amateurs d’architecture était fermé l’hiver. La végétation avait aussi repris ses droits. Les 80 000 visiteurs annuels venaient comme dans un musée tout en notant qu’il était dommage que cette chapelle ne vive pas vraiment. »

La Fraternité © Michel Denancé

Renouveau
Dominant la petite ville de Ronchamp située à vingt kilomètres de Belfort, Notre-Dame du Haut était dotée d’un bâtiment d’accueil peint en rose. « Une ancienne ferme, sorte de verrue sur le site », déplorait Jean-François. Pour le cinquantenaire de la Chapelle, en 2005, décision est prise de reconstruire cette porterie, mais aussi de relancer le projet d’un monastère afin de mettre fin à la solitude spirituelle des lieux. Les sœurs Clarisses cherchaient, quant à elles, à quitter leur couvent de Besançon. Ce site international saillait bien à l’ordre franciscain, en plein renouvellement générationnel. Encore fallait-il trouver un architecte ayant l’envergure pour assumer un tel projet mais aussi l’humilité de se placer dans le giron du Corbu. L’AONDH tombe rapidement d’accord sur un nom : Renzo Piano, lauréat du prix Pritzker en 1988 (équivalent du prix Nobel en Architecture). Le président de l’Association a toujours admiré « les courbes et l’esprit de la Fondation Beyeler réalisée par ses soins. Une sorte d’aboutissement architectural allant très loin dans la simplicité qui me semblait se marier agréablement au style du Corbusier. » Après plusieurs tentatives d’approches, Renzo Piano accepte finalement, en 2006, dégageant de la place dans un carnet de constructions plein pour les huit années suivantes.

© Justin Case

Querelle de chapelle
Fin 2007, le premier permis de construire délivré, les travaux débutent. Les premières polémiques aussi, menées tambour battant par la Fondation Le Corbusier qui mobilise internationalement, étudiants et architectes, contre le projet de Piano. En cause, la possible dénaturation de l’œuvre du maître et « surtout, beaucoup de jalousies. Nous sommes pourtant loin de La Sagrada Familia, à Barcelone. Pas question de faire un “Corbusier Land” avec de nouveaux bâtiments copiant son style », assume Jean-François Mathey. Devant l’ampleur de la campagne de dénigrement, Renzo Piano affine sa copie, plonge vers la discrétion et l’effacement. Il enterre totalement la porterie dans le flanc Sud de la colline, en supprime « le toit magnifique des débuts, en forme d’aile d’oiseau ». L’ensemble est d’ailleurs invisible depuis la Chapelle, puisqu’en terrassement, recouvert de végétation. Si le béton brut, d’une couleur claire obtenue grâce au calcaire local, règne en maître, de grandes baies vitrées offrent, sur toute la longueur, l’horizon des vallons des Vosges environnantes pour point de vue, ainsi qu’une lumière naturelle à tous les espaces.

Cellule © Michel Denancé

Collés à la porterie, une bibliothèque et des ateliers de couture pour les sept sœurs clarisses qui ont investi les lieux, informatique et broderie étant leurs deux activités professionnelles. L’oratoire central de l’édifice reprend la forme de coque inversée de la Chapelle, alvéole minimaliste et intimiste. À l’Ouest, douze cellules individuelles pour les sœurs et huit pour les hôtes de passage et l’hébergement monastique. Confort spartiate de rigueur mais d’agréables volumes qui confèrent une certaine sérénité aux lieux. Si le monastère a été poussé au plus près du ravin, pour mieux s’inscrire dans le paysage, la consolidation des pierres friables de la colline et le travail d’évacuation des ruissellements des flancs ont salé la note. « Au moins sommes-nous sûr de sa durabilité dans le temps », se félicite Jean-François.

© Irina Schrag

Ronchamp a aussi subi une restructuration paysagère, sous la houlette de Michel Corajoud. Si l’on ne retrouve pas les pâturages d’antan qui dominaient le plateau, il a soigné les acacias qui cachaient la montée en droite ligne vers la Chapelle, avec la Tour comme phare. Grâce à de subtils déboisements, le paysagiste permet au visiteur de retrouver les vues des années 1950. Les visiteurs peuvent ainsi cheminer autour de la Chapelle et le long de la porterie, jusqu’au jardin d’hiver d’où l’on profite du soleil couchant. Renzo Piano peut alors se targuer d’avoir ajouté du sens aux mots, inscrits par Le Corbusier lui-même dans la Chapelle : silence, prière, paix, joie intérieure.

La Chapelle Notre-Dame du Haut et le monastère des Clarisses se situent sur les hauteurs de Ronchamp (Haute-Saône).
Ouvert tous les jours de l’année (sauf 1er janvier), de 9h30 à 19h d’avril à septembrewww.chapellederonchamp.fr
www.rpbw.com
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