L’Araignée au Taps Scala

L'Araignée ©Christophe Raynaud De Lage

Dans L’Araignée, l’autrice et metteuse en scène Charlotte Lagrange explore, à hauteur de femme, le maillage institutionnel broyant une employée de l’Aide sociale à l’enfance.

Dans son dernier roman autobiographique1, Léonora Miano affirme qu’on appelle « réalisme, le cynisme qui consiste à s’y accoutumer ». La Franco-Camerounaise évoque la rudesse du traitement institutionnel des gens à la marge, des laissés-pour-compte, des sans-abris, avec ou sans papiers. Ces mots, Charlotte Lagrange aurait pu les écrire. Suite à une création participative avec une classe UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) de lycéens à Montbéliard, la metteuse en scène décide d’écrire, en immersion, sur les mineurs non accompagnés, perdus dans le fatras de procédures et d’organismes décidant de leur sort. Juristes, avocats et membres de l’Aide sociale à l’enfance se confient à elle sous le sceau de l’anonymat. Ainsi naît L’Araignée2, solo pour une femme se débattant avec elle-même, sa conscience, son indignation, ses petits renoncements.

L'Araignée © Christophe Raynaud de Lage
L’Araignée © Christophe Raynaud de Lage

Dans son nouveau bureau, froid, où s’entassent des piles de dossiers à broyer dans une déchiqueteuse quand la tension est trop forte – geste échouant à décharger la colère accumulée –, rien ne peut tourner rond. Loin d’être une administrative comme les autres, un rouage immuable remplissant avec détachement les tâches qui lui sont confiées, elle pâtit de son implication auprès des enfants dont elle avait la charge. Rapidement, l’on comprend que le désastre est en cours, le burn out pris de plein fouet. Face à la pénalisation de toute humanité dans le traitement des 250 “dossiers” de mineurs étrangers non accompagnés qui lui étaient confiés, son dégoût est total. Cette employée de l’Aide sociale à l’enfance n’a pas tenu le choc face au principe de réalité. Sur un tapis de sol à effet miroir, dans lequel la comédienne Emmanuelle Lafon ne peut ni disparaître, ni accepter la confrontation avec son reflet, la solitude est un gouffre sans fond. Avec une simplicité désarmante, elle échappe, toujours, guettant une araignée à laquelle s’accroche son désespoir, son isolement.

L'Araignée
L’Araignée © Christophe Raynaud de Lage

Cette scénographie avec bonbonne à eau et plafonnier dont s’écoulent quelques gouttes, pourrait bien être la salle d’interrogatoire mentale dans laquelle ses dernières semaines d’activité continuent de la torturer. Les dialogues forment des voix dans sa mémoire, guettant tous ceux qui s’impliquent dans ce métier. Une immense toile d’araignée, un maillage institutionnel irrationnel où s’ébattent les professionnels et où « les gosses sont pris comme des mouches ». Il y a Z., jeune Afghan parlant beaucoup avec les Maliens de son foyer d’accueil ou encore S., qui lui apprend à elle comme à ses enfants, à nommer les choses dans sa langue, le week-end venu, lorsqu’elle l’invite à déjeuner. Elle sait qu’elle ne devrait pas, mais bon, est-ce si grave ? Se défiant de toute pitié et de misérabilisme, Charlotte Lagrange lève le voile sur un système poussant à la défiance. Elle pointe notre absence de considération collective sur le sort réservé à des adolescents, si mal accueillis. Il y a, enfin, cette révolte chère à Camus, qui veut que « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. »

L’Araignée

Au Taps Scala (Strasbourg) du 7 au 9 février
taps.strasbourg.eu

1 Stardust, Éditions Grasset, 2022 – grasset.fr
2 Paru en Tapuscrit chez Théâtre Ouvert – theatre-ouvert.com

vous pourriez aussi aimer