La FM bande encore ?

Has been, la radio ? Fréquences associatives qui se démènent, indépendantes revendiquant une mission de proximité ou de grosses machines rêvant de débarquer sur nos ondes… Virée sur la bande FM alsacienne qui déchaîne encore les stations.

7 février 2012. Au Club de la presse strasbourgeois, Pierre Bellanger, président fondateur de Skyrock, soutenu par un Abd Al Malik déterminé, s’indigne. Selon lui, il est « inacceptable » que son bébé, “premier sur le rap”, reste absent des ondes. L’objet de sa convoitise ? Une des trois fréquences récemment libérées. Il faut signaler qu’en Alsace, en raison de la proximité de la frontière, la FM est très encombrée. Skyrock et les autres prétendants ayant répondu à l’appel à candidatures, lancé par le Comité territorial de l’audiovisuel (CTA) basé à Nancy, devront patienter jusqu’à l’automne pour une réponse définitive du CSA. Celui-ci opère les réaménagements du plan de fréquences dans une volonté de « pluralisme des courants d’expression socioculturels » ou encore d’équilibre des catégories de radios. Même si le CTA demeure discret quant au nombre de candidats, on nous glisse que « Strasbourg est une ville très demandée. » Ceci prouve que, malgré la diversité des supports et la multiplication des webradios (Radio Capsule ou Mulhouse Net Experience), la radio est un secteur qui se porte très bien et reste suivi par des annonceurs qui ne désertent pas les ondes.

Les indés et la proximité

La “probable” arrivée de Skyrock n’effraye pas du tout Agnain Martin, président de Dreyeckland : « Ça ferait du mal à NRJ ou Virgin mais c’est tout. » Cette radio ciblée “seniors”, à l’origine Radio verte Fessenheim, station écolo et gaucho, fut « l’une des premières radios pirates de France, avant l’autorisation des fréquences par l’état en 1981 ». En 1997, arrivée « en bout de course », la radio associative devient commerciale suite à l’investissement « important » d’Agnain Martin. Dreyeckland, « leader sur les 35 ans et plus depuis plus de 10 ans en part d’audience », est présente sur plusieurs fréquences en Alsace, avec son équipe de quatre journalistes et ses deux antennes, à Mulhouse et à Strasbourg. Démarrage dès 5h du mat’ avec des émissions à thèmes, parfois délocalisées (sur le marché de Noël…), où l’on privilégie la proximité et l’on parle, entre autres sujets, de nos amis les bêtes. « Il faut faire preuve d’autorité pour lui montrer qui est le maître ! » conseille-t-on à l’antenne… Selon son président, par ailleurs administrateur du groupement national des Indés Radios, « les indépendantes, avec leurs stratégies d’entreprises, leurs lignes éditoriales et leurs équipes salariées ont la puissance commerciale la plus forte grâce à 8 millions d’auditeurs par jour, en cumul, devant RTL qui n’en a que 7. »

La prog’ de Top Music, « première radio indépendante d’Alsace » créée en 1982 (elle fête ses 30 ans le 26 mai au Zénith de Strasbourg), n’est pas franchement révolutionnaire (James Blunt, Jean-Louis Aubert, Dire Straits…), mais son « esprit pop rock » séduit un autre auditorat : la tranche des “jeunes adultes”. « 100% produite en Alsace, avec une information locale importante », elle reste en « contact direct avec les acteurs régionaux », insiste Hervé Aeschbacher. Le responsable promo de Top évoque une radio « faite ici pour les gens d’ici » et le « service » rendu aux auditeurs (les inforoutes…).

Service public

Top Music, qui bénéficie d’une très forte notoriété, est avant tout une radio musicale : relativement peu de parlote, donc, contrairement à France Bleu Alsace. Faisant partie d’un réseau de 43 stations, cette dernière se positionne comme une radio de talk, forte d’une dizaine de journalistes et d’émissions comme Parlons-en ! Alexandre Tandin, rédacteur en chef, ne mâche pas ses mots : « Il n’y a pas d’équivalent. Aucune autre n’a le ¼ du 10e de la moitié de notre contenu rédactionnel. » Sa voisine de palier, Fip, n’a peut-être pas la même force de frappe, mais elle bénéficie d’un réel capital sympathie auprès d’un public “cultureux”. Véronique Hilaire, directrice de Fip Strasbourg : « Les sondages sont au beau fixe : nos auditeurs – entre 30 et 65 ans – sont curieux, ouverts et passionnés de musique. » Après une période de trouble en 2010 (lire l’article Y a-t-il un Fip pour sauver la FM ? ici), six animatrices sont en direct, de 7h à 19h, afin de donner leurs tuyaux culturels. «  Les antennes locales sont un relais important pour la communauté Fip. D’ailleurs deux directs par région sont envisagés cette année. »

RBSAssociactives

RBS a également vu chaud en 2003 où elle dépose le bilan… mais est relancée en 2005 (avec une dette de 130 000 euros à rembourser sur dix ans) et semble aujourd’hui ragaillardie. Stéphane Bossler, responsable d’antenne, n’est plus l’unique salarié : DJ Talri, chargé de la matinale d’infotainment (6h à 10h), vient d’être engagé et une troisième personne devrait rejoindre les rangs d’une radio autour de laquelle gravite une centaine de bénévoles. Radio Bienvenue Strasbourg s’est professionnalisée, mais reste fidèle aux musiques blacks et aux résidents étrangers qui ont leurs émissions, depuis 1981, « par choix éditorial, pas par obligation » insiste Stéphane. De 10h à midi, il présente un talk show, mélange d’interviews en direct (actu culturelle, politique…) et de reportages (à l’issu de spectacles…), destiné à un auditeur « urbain et branché », entre 25 et 35 ans. « Nous proposons de longs entretiens, des discussions de fond, en tête à tête. Un blanc ou une hésitation ont du sens ! Sur France info, il n’y a même plus de rythme tellement c’est haché. » Et d’annoncer fièrement : « Si on a eu Ellroy, Hollande, Jospin ou Gorbatchev, c’est grâce à la qualité de notre travail. RBS fait 15 000 auditeurs par tranche horaire : c’est beaucoup, mais forcément moins bien moins que NRJ. » Ou que Top Music, « une radio locale qui donne l’impression d’être nationale comme Virgin ou NRJ », lance-t-il avant de s’interroger : « Quelle place est accordée aux radios associatives, comment sont-elles considérées ? » Il pointe du doigt deux stations contraintes de partager une même fréquence : Arc-en-Ciel, radio pour la “diffusion de l’évangile”, et Radio En Construction qui revendique « une politique d’édition radiophonique fortement ancrée dans la création sonore », dixit Thierry Danet[1. Lire ici entretien complet avec Thierry Danet], son président, également directeur de La Laiterie. REC est cantonnée à sa demi-fréquence depuis ses débuts, ceci « malgré des demandes systématiques lors de tous les appels à candidatures pour obtenir les moyens d’émettre 24h / 24, 7j / 7. » L’attitude du CSA quant aux radios associatives ? « Je crois qu’il faut élargir le champ de la réflexion, tant en termes de politique publique de l’offre médiatique et de contenu que d’offre culturelle. Je suis un ardent défenseur de l’idée d’un label type “art et essai” qui reconnaîtrait la démarche d’un certain nombre de radios, à l’instar de ce qui se fait dans le cinéma. » La toile est-elle l’espace de liberté rêvé ? Pour Mulhouse Net Experience, Internet n’est pas une fin en soi. La webradio « dans l’esprit des radios libres des années 1980 », selon son fondateur Jean-Luc Wertenschlag, rassemble des bénévoles autour d’une prog’ musicale pointue et d’émissions originales (une interview de Bertrand d’At, ancien directeur du Ballet du Rhin, par des rappeurs). Elle s’est créée suite « au refus répété du CSA d’une fréquence, alors même qu’il n’y a pas de radio dédiée au monde associatif à Mulhouse. La FM, présente dans toutes le voitures, est incontournable. 99% des Français ont un poste de radio ! » Pour MNE, on n’écoute pas de la même façon la FM et la webradio… deux médias qui demeurent complémentaires.

Préparer l’avenir

Hervé Aeschbacher de Top Music se demande « comment les gens vont consommer la radio dans cinq ans ? » Impossible à dire, mais chacun prépare le terrain, notamment en renforçant sa position sur Internet, conscient que les habitudes changent et « qu’on n’impose pas un programme aux plus jeunes qui préfèrent picorer, choisir un podcast ou un replay » note Stéphane, représentant d’une radio présente sur la toile (comme la plupart de ses “concurrentes”)… mais qui ne propose pas encore ces options. Et en anticipant l’arrivée de la radio numérique terrestre qui permettrait de bénéficier d’un son de qualité supérieur et règlerait la problématique de pénurie de fréquences ? « L’investissement est-il nécessaire ? Aujourd’hui, avec un simple smartphone, on peut écouter n’importe quelle radio de n’importe où », remarque Hervé Aeschbacher. « Son coût est tellement important que peu de radios auraient les moyens de cet équipement », note Stéphane Bossler qui va plus loin : « Ça serait une manière d’éteindre les radios associative qui ne peuvent en aucun cas accéder à cette technologie. » Selon le CTA, « il n’y a pas encore unanimité de la profession sur l’opportunité d’introduire le numérique. » Le projet reste en stand by… le temps de trouver un « modèle économique satisfaisant ». Les bonnes vieilles radios hertziennes ont encore quelques beaux jours devants elles et du temps pour mettre en place une stratégie.

 

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