Je et un autre

Avec Anti-narcisse, le Crac Alsace expose des artistes qui ne se regardent pas le nombril : ils examinent le monde en adoptant le point de vue du sujet observé.

Le titre de l’exposition a été emprunté à l’anthropologue brésilien auteur des Métaphysiques cannibales, Eduardo Viveiros de Castro. Au cours de ses recherches, il se questionne : comment étudier un sujet, notamment un peuple, en utilisant ses modes de pensée et en bannissant l’anthropocentrisme ? Selon Elfi Turpin, directrice du Crac et commissaire de l’exposition, de nombreux artistes se penchent sur cette problématique. Parmi eux, le duo Alain Della Negra & Kaori Kinoshita « utilise le geste documentaire pour faire de la fiction, s’intéressant à la question de l’élargissement de la réalité. » Au Crac, sera – entre autres vidéos – présenté Une Île sans femme, doc’ sur le phénomène japonais des femmes factices pour célibataires, poupées avec lesquelles des hommes développent une relation affective, parfois amoureuse, allant jusqu’à amener leurs copines fake au resto ou au ski. Le point de départ du long métrage est une interview où un protagoniste explique à Alain et Kaori qu’il n’y a plus de femmes au Japon et qu’il est contraint de trouver du réconfort auprès d’un mannequin à taille humaine… Les deux artistes « ont alors décidé de faire une fiction partant de ce postulat, en excluant du cadre toutes les femmes. C’est cette contrevérité – à laquelle croit l’homme interrogé – qui a dicté le dispositif du film. » Ils empruntent les systèmes de raisonnement « du milieu dont ils parlent, comme si le film se faisait tout seul, si le contexte l’écrivait. »

Autre artiste exposée, Kapwani Kiwanga qui, le temps d’une conférence – Afrogalactica : un abrégé du futur – endosse la posture d’une anthropologue de demain nourrissant son discours « de documents d’archives ne provenant pas de fonds scientifiques, mais de la littérature ou de l’histoire de la musique ». Durant sa performance, elle évoque, images à l’appui, la conquête spatiale par les Africains, en se basant notamment sur les pensées du génie jazz farfelu, Sun Ra, chantre de l’afrofuturisme, prônant la conquête de l’espace par les Africains, pour une vie meilleure. Le temps de la conférence, où il est question d’“Afronautes” cherchant un ailleurs dans les étoiles, l’utopie cosmique devient réalité. Les plasticiens réunis par Elfi Turpin ont une « identité flexible », ils ne plaquent pas leur propre pensée sur un objet. En “l’autre”, « nous cherchons trop souvent à nous contempler nous-mêmes », comme Narcisse. En observant les choses depuis leurs perspectives, ils augmentent le réel.

À Altkirch, au Crac Alsace, jusqu’au 11 mai

03 89 08 82 59

www.cracalsace.com

 

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