Humour, toujours

Portrait de Maki Okada & Tedi Papavrami

Explorer les différentes déclinaisons de l’esprit en musique : tel est l’objectif que s’est fixée la quatrième édition de Piano au Musée Würth où se croisent gotha du clavier et jeunes pousses.

Paraphrasant Verlaine, Olivier Érouart, directeur artistique de Piano au Musée Würth depuis l’an passé1, désire « mettre de l’humour en toutes choses. Cette thématique se déclinera au fil des concerts – elle ne sera pas présente de la première à la dernière note, mais par petites touches – sous de multiples formes : de la plaisanterie légère au non-sens drolatique, en passant par le comique potache », s’amuse celui qui est également directeur d’antenne d’Accent 4, unique radio associative classique de l’Hexagone2. « Chez certains compositeurs réputés “sérieux”, il est souvent difficile d’imaginer cela. Pensons néanmoins au délicat Caprice sur le départ de son frère bien-aimé de Bach ou à la débridée Colère pour un sou perdu de Beethoven », deux œuvres données par Martin Stadtfeld (24/11, 20h). Autre virtuose convié aux festivités, le brillantissime Simon Ghraichy (15/11, 20h) dont l’extravagance baroque du look – qui lui est vertement reprochée par certains pisse-froid considérant que le classique doit continuer à baigner dans le formol – égale la maestria pianistique et l’inspiration artistique. À côté de pièces de Liszt, Sibelius (Les Arbres, ode à une nature où se dissimule l’Homme) ou Albenitz, se découvre la Grande Humoresque de Schumann, titre difficilement traduisible : « Il est bien malheureux que votre langue n’ait pas un mot exact pour rendre justement deux particularités aussi enracinées dans la nationalité allemande que l’exaltation du rêve et l’humour : lequel est justement un mélange heureux d’exaltation et d’esprit farceur » écrivit le compositeur qui avait imaginé cette œuvre « riant, pleurant tout à la fois ». Nul doute que l’étincelant Simon Ghraichy exprime de moderne manière la voix intérieure présente en filigrane dans la partition, lui qui aime plus que tout casser les codes, tout comme Vanessa Wagner que l’on retrouve aux côtés de la violoncelliste Olivia Gay (24/11, 17h) pour un programme Debussy, Martinů (qui pastiche joyeusement Rossini), Schumann et Chostakovitch.

Photo de Simon Ghraichy par Antonin AM

Le public passe du bien nommé trio C’est pas si grave où se marient piano, hautbois et contrebasse (17/11, 11h) à l’absurde de La Cantatrice chauve dont des textes se mêlent à un florilège pianistique dans un spectacle (24/11, 15h) réunissant de jeunes virtuoses du Conservatoire, comédiens (de la classe d’Olivier Achard) et musiciens, élèves de Jean-Baptiste Fonlupt qui donne aussi un récital (22/11, 20h) où Liszt croise Chopin, compositeur bien plus rigolo que l’image qu’on en a : ne signait-il pas des billets drolatiques dans un journal, au cours de sa jeunesse sous le pseudonyme transparent de Pichon ? Autre personnalité attachante, celle de Jean-François Zygel3 (16/11, 20h) : pédagogue, interprète, passeur ou encore improvisateur, il se définit comme un « musicien moderne qui ne se contente pas de répéter à l’infini les habitudes et les formats du XIXe siècle. Il faut révolutionner le concert classique et la musique classique en général, sinon dans quelques années elle ne s’adressera plus qu’à une élite bourgeoise et vieillissante. Il faut que les musiciens d’aujourd’hui investissent non seulement les salles à velours rouge et à pompons, mais aussi les scènes que sont la télévision et la radio, sans parler du plein air ou d’autres lieux à inventer », affirme-t-il. Et de poursuivre : « Lors de mes concerts j’aime bien parler, expliquer : il n’y a pas de raison qu’un musicien classique soit obligatoirement muet comme une carpe devant son public. » Impossible de mentionner ici tous les artistes présents à Erstein pendant ces dix jours, mais impossible également de ne pas citer le violoniste Tedi Papavrami et la pianiste Maki Okada (23/11, 20h), couple à la scène comme à la ville, en complète osmose artistique qui a imaginé un programme bondissant, tout en subtilité – comme un joli résumé de l’esprit du festival – où se croisent la Sonate pour violon et piano de Poulenc, une transcription des Minstrels de Debussy (originellement pour clavier seul), une Fantaisie sur des thèmes de Carmen de Pablo de Sarasate ou encore la deuxième Sonate de Prokofiev.


Au Musée Würth (Erstein), du 15 au 24 novembre
musee-wurth.fr

Visites guidées de l’exposition José de Guimarães (voir Poly n°224 et sur poly.fr) pendant le festival, 16 & 23/11 (18h) et 17 & 24/11 (14h30)

Buffet campagnard les dimanches 17 & 24/11 (12h) permettant de profiter pleinement de tous les concerts du jour. Uniquement sur réservation préalable en ligne

1 Voir Poly n°214 ou sur poly.fr
2 Strasbourg (96.6 MHz), Sélestat (98.8 MHz), Colmar (90.4 MHz) et sur accent4.com
3 Cette saison, il propose cinq concerts le dimanche à La Philharmonie de Luxembourg, prochain rendez-vous le 10/11 avec une joute d’impro’ en compagnie du pianiste Thomas Enhco
philharmonie.lu

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