Humans, go home !

Rouge gueule de bois © Stéphane Perger

Fils du strasbourgeois Joël Henry – initiateur du tourisme expérimental – Léo Henry publie à 32 ans son premier roman. Rouge gueule de bois, une ode aux sixties, à ses icônes sur pellicule et aux pastiches de la science-fiction signés Fredric Brown.

Léo Henry est de ces nostalgiques élevés dans les astres de la contre-culture américaine, biberonnés au cinéma de genre et aux écrivains tourmentés – un brin ratés aussi – comme Clifford Odets qui inspira aux frères Cohen l’excellent Barton Fink. Privilège de l’auteur, il convoque son panthéon dans ce western urbain. Les seuls à, parfois, s’y ennuyer sont les personnages, écrasant de temps à autres des fourmis descendant des arbres en quête d’une vie meilleure au milieu des cadavres de bières Olympia et de Korbel Brandy. Léo ne recommande pas de lire en buvant, même si l’incroyable liste de cocktails et autres breuvages dont se gorgent les personnages donne envie de tâter du shaker. Du Mai Tai au Moon Stop en passant par le French 75 version Chemin des Dames (deux onces de Calvados, une de gin et un trait d’absinthe au shaker avant de le passer dans un verre à Martini), l’homme est fin connaisseur.

Ce “road novel”, n’ayant rien à envier au plus déjanté des films de Tarantino, réunit rien moins que Fredric Brown[1. Fredric Brown (1906-1972) auteur culte de Martiens go home ! et Fantômes et farfafouilles, parus chez Denoël, collection Présence du Futur, en 1957 et 1963], copie saisissante de l’écrivain en mal d’inspiration, Vadim (célèbre cinéaste[2. Roger Vadim (1928-2000), réalisateur des sulfureux Et Dieu… créa la femme, Liaisons dangereuses ou encore Barbarella], homme à femmes qui séduisit successivement Bardot, Deneuve ou encore Jane Fonda) mais aussi la plantureuse Barbarella, héroïne du film éponyme signé… Roger Vadim. De Tucson (Arizona) à Taos (Nouveau Mexique), de Yuma à Ensenada (Mexique), Brown échafaudera un plan doté de l’alibi parfait – du moins le croit-il – pour assassiner sa femme, coupable d’être en train d’écrire un livre sur lui. Construit sur une trame à tiroirs, le récit joue d’un style très marqué dans lequel l’argot impérieusement enlevé abonde et règne en maître. Entre gommes de grosses cylindrées brûlant le bitume et rencontres improbables avec la moitié des arsouilles (les Hell’s Angels, hédonistes et anthropophages, de Cave Creek) d’une année 1965 où le monde court à sa perte, notre bande de “lucky loosers” se croise et se recroise, poursuivis par la Reine noire de Sogo et les jumelles Stomoxys et Glossina à la plastique réveillant les morts.

Ajoutez la dérision d’un Mars Attacks ! revu à la sauce “peace and love orgiastique”, les chroniques radio de WKRC dont la gouaille, le franc-parler et l’irrévérence feraient passer le chroniqueur de Good Morning Vietnam pour un cureton bien sage et vous obtenez un roman savoureux en forme d’ellipse sur la créativité, les troubles de l’imagination et le rapport problématique à la société de consommation d’écrivains géniaux et givrés, à jamais condamnés à défricher des genres à la marge avant d’y être, eux-mêmes, renvoyés.

Rouge Gueule de bois de Léo Henry, Éditions La Volte, 2011 (18 €)
Illustration de couverture : Stéphane Perger
http://perger.ultra-book.com/book
http://pergerbd.blogspot.com
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