Gimme hope joana

Photo de Benoît Linder pour Poly

I want to break free de Joana Vasconcelos est le point d’orgue de Happy 20 célébrant les vingt ans du MAMCS. Les œuvres glam’ de la superstar de l’Art contemporain sont au service d’une réflexion politique acérée : visite d’une expo agencée comme un appartement.

Elle nous accueille, souriante. Joana Vasconcelos est heureuse de voir sa Valkyrie de plus de 25 mètres de long imposer sa présence arachnéenne – avec des échos de Louise Bourgeois – et colorée dans la nef du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg. Dans un camaïeu de roses, Material Girl (2015), gigantesque et voluptueuse sculpture de tissu aux formes organiques et aux teintes pop est une digne représentante d’une série initiée en 2004 par la plasticienne portugaise. « Elles sont ma réponse aux déesses guerrières et machistes de Wagner. J’en donne une version féminine : des femmes puissantes et courageuses, sans être belliqueuses », explique-t-elle.

Betty Boop, 2010, collection privée. Œuvre produite avec le soutien de Silampos. Courtesy Seoul Auction © Joana Vasconcelos / Adagp, Paris, 2018

Home sweet home
Au-delà de l’allusion croisée à Wagner et Madonna, la musique irrigue les œuvres de Joana Vasconcelos. Directeur des Musées de Strasbourg, Paul-François Lang compare avec justesse l’exposition à la maison de L’Enfant et les sortilèges de Ravel. Pour son titre, c’est plutôt du côté de Queen qu’il faut jeter un œil : I want to break free manifeste « une volonté d’évasion. Avec cette phrase, je souhaite montrer qu’il est possible de transformer l’identité de la femme », résume l’artiste. C’est ce que le visiteur découvre au fil des différentes salles / pièces d’une exposition / appartement dont le credo peut se résumer en une phrase : « Déconstruire l’ambiance domestique : les objets que j’utilise sont souvent banals. Ils viennent du salon, de la salle de bains, de la chambre à coucher… Ils sont décontextualisés, puis recontextualisés dans une autre perspective. » Illustration avec l’iconique Betty Boop (2010), escarpin géant, argenté et rutilant, composé de dizaines de
casseroles et couvercles soudés entre eux : le quotidien le plus banal est métamorphosé en univers de conte de fées, la femme n’est plus aux fourneaux, mais sur le red carpet, en stilettos. C’est Cendrillon se libérant de sa sordide cuisine. À côté, le brutal Esposas (2005) questionne les relations conjugales aliénantes – jouant sur le double sens du titre en espagnol qui peut se traduire par épouses ou menottes – dans une atmosphère angoissante, entre BDSM et déshumanisation. Également à rebours de l’image strass & paillettes collant à la peau de Joana Vasconcelos, Menu do Dia (2001) est un assemblage de portes de frigos et de vieilles fourrures puant la naphtaline où sont frontalement opposés le glam’ old school du vison et la caricature de la ménagère des années 1960. Une vision rétro-futuriste du féminisme en quelque sorte.

House of the Rising Sun
Réflexion houellebecquienne mais joyeuse sur la classe moyenne (avec Vista Interior ou comment enfermer le quotidien d’un couple portugais de l’an 2000 dans 4 m2, une “maison dans la maison” qu’est l’expo) ou propos anxiogène sur la prostitution (Strangers in the Night, 2000 et ses dizaines de phares aveuglants) : Joana Vasconcelos trans gure la banalité, donnant l’espoir d’un avenir autre, d’un ailleurs, avec des œuvres souvent monumentales. Chacun se souvient en effet de son pavillon flottant à la Biennale de Venise 2013, où elle représentait le Portugal ou de A Noiva, gigantesque lustre fait de 25 000 tampons hygiéniques refusé au Château de Versailles qu’elle avait investi en 2012, pour nalement être installé au Centquatre. Preuve en est apportée avec l’extraordinaire Coração Independente Vermelho #1 (2008) évoquant le célébrissime Hanging Heart de Jeff Koons. Un immense cœur rouge est suspendu dans l’espace, tournoyant noblement, accompagné par la voix mélancolique d’Amália Rodrigues. Revisitant une tradition bijoutière portugaise, le Cœur de Viana, l’artiste crée un objet fascinant composé de centaines de… couverts en plastique. Cuillers, fourchettes et couteaux composent un lacis baroque montrant l’importance de la saudade lusitanienne dans la création d’une artiste à la tête d’une « manufacture poétique, atelier d’une soixantaine de personnes (broderie, couture, etc.) rappelant plus celui de Rubens que la Factory de Warhol », résume celle qui aime plus que tout exprimer des choses graves dans un tourbillon pop et ashy plein d’un humour que concentre War Games (2011), à la fin du parcours. Une Morris des sixties est recouverte de fusils en plastique. L’habitacle de la voiture est rempli de dizaines de peluches : mignon panda, chou chat miaulant, Minnie se marrant, etc. Peut alors s’y lire une ré exion pleine de justesse et de dérision sur la vulnérabilité des enfants, premières victimes de toutes les guerres.


Au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, jusqu’au 17 février 2019 musees.strasbourg.eu
joanavasconcelos.com

Sélection de visites : “Une heure / Une œuvre” (War Games, 16/11 et Brise, 11/01/2019), “Le temps d’une rencontre” avec la commissaire de l’exposition Estelle Pietrzyk (08/12), déambulation chantée (16/12, 13/01 & 17/02/2019)

À l’Auditorium : conférence de Lucia Pesapane (07/11), projection de L’Art et la manière de Sarah Blum sur Joana Vasconcelos (13/11) et concert de Carla Pires (31/01/2019)
À voir également I’m Your Mirror au Guggenheim de Bilbao (jusqu’au 11/11) et Exagérer pour inventer à l’Hôtel départemental des Arts de Toulon (jusqu’au 18/11)
guggenheim-bilbao.eus
hda.var.fr

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