Devenir imperceptible : Les Furtifs de Damasio par Laëtitia Pitz

Photo de Morgane Ahrach

La compagnie Roland furieux menée par Laëtitia Pitz adapte Les Furtifs, roman d’Alain Damasio, dans une partition science-fictionnelle pour voix parlées et ensemble instrumental. 

« À quoi tient une révolution ? Une dynamique révolutionnaire ? Ou plus modestement cette myriade de basculements intimes dont la mise en résonance populaire provoque un mouvement de fond ? » Ainsi s’ouvre Les Furtifs. Du roman qu’Alain Damasio mit 15 ans à écrire, Laëtitia Pitz a constitué un livret d’une cinquantaine de pages avec le concours de Benoit Di Marco. L’écrivain a poussé la metteuse en scène « à ne pas hésiter à faire des coupes pour gagner en oralité, à trahir dans un geste artistique se superposant au sien », confie celle dont la trajectoire est jalonnée d’adaptations de textes romanesques. « J’ai passé une partie de ma vie à cheminer avec Antoine Volodine et Didier-Georges Gabily, des poètes du crépuscule qui ne me quitteront jamais. Damasio est bien plus polymorphe et apporte un appétit de vie exceptionnel dans son écriture. Il fait souffler un vent de liberté dans nos têtes, redonne de la joie dans un contexte sombre. L’humain retrouve sa place à l’intérieur du vivant, de manière solaire, avec une foi incommensurable en ces récits qui forment le commun. » Pour porter l’histoire des Furtifs, espèce qui échappe à toute traçabilité, Laëtitia Pitz est accompagnée de deux acteurs-récitants et neuf musiciens. Dans la continuité de cette recherche d’entremêlement de textes en prose et de dispositifs musicaux originaux, qui anime depuis plusieurs années la compagnie messine Roland furieux, Xavier Charles s’est entouré d’instrumentistes inventifs pour composer une partition imagée. Elle leur laisse une grande liberté tout en imposant de la discipline.

Parfois, les musiciens se contentent de mots comme indications de jeu, tandis que d’autres passages sont entièrement écrits. « Ce roman parle incroyablement bien du son et de l’écoute, matière précieuse pour nous qui explorons ce que le côtoiement du texte et de la musique peut ouvrir comme espace de rêverie. Si Volodine dans Mevlido appelle Mevlido et Danse avec Nathan Golshem nous plaisait pour la mélodie de sa langue et les images qu’il déploie sans cesse, Damasio est plus cérébral. C’est le contenu même des Furtifs qui nous a happés : ce nouvel espace de liberté vitale dont il lève le voile, alors que nous sommes tous d’une docilité incroyable. Il nous a donc fallu échapper aux évidences musicales et assumer que les matières plus abstraites fonctionnaient le mieux. Cela a donné des partitions graphiques – avec motifs dessinés, points, lignes, etc. – dont s’emparent un quatuor à cordes et des cuivres, mélange de musique de chambre et de jazz. » La clé pour approcher au plus près ces êtres du son invisibles, ces Furtifs qui bruissent, appelant à la sécession. Une manière d’échapper aux injonctions pour renouer avec le vivant qui nous entoure et sommeille, peut-être, en chacun.


À L’Arsenal (Metz), vendredi 12 et samedi 13 novembre, puis au Théâtre de L’Échangeur (Bagnolet), du 17 au 22 novembre
compagnierolandfurieux.fr


Rencontre avec Alain Damasio et Xavier Charles, à L’Arsenal, vendredi 12/11 à l’issue du spectacle en partenariat avec le Forum-IRTS de Lorraine et la librairie Autour du Monde
citemusicale-metz.fr

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