Fashion vitrine

Le job de la strasbourgeoise Marie Guénot de MG déco est sa raison de vivre : la décoration de vitrines – comme celles d’Hermès – et l’agencement d’espaces, en privilégiant gestes d’artisan et esprit ludique. Rencontre avec un « dinosaure » qui bosse sans ordinateur.

Marie est née « le jour de [s]on entrée aux Arts déco. Je suis une manuelle, j’ai ça dans le sang. Vous me l’enlevez, je ne vis plus. » Les couleurs, les matières, l’artisanat, le bricolage, l’assemblage… Dans son vaste atelier de la Plaine des bouchers à la Meinau, au milieu de livres, chutes de tissus ou de bois, des rubans et objets home made – un lustre géant en bois de cerfs – ou chinés, elle planche sur plusieurs dossiers simultanément : des stands pour un salon gastronomique, l’aménagement d’un restau (L’Étoile des neiges à Strasbourg qui ressemblera à un chalet suisse), une vitrine pour Marquise de Sévigné à Paris…

Début 1989, son diplôme à peine empoché, elle se met à son compte. La décoratrice / styliste photo / architecte d’intérieur réalise surtout – « parfois chaque semaine ! » – des vitrines pour des boutiques de fringues très in qui fleurissaient alors et de luxueuses marques comme Louis Vuitton. Entre 1989 et 2009, Marie dessine et construit tous les décors des deux boutiques Hermès alsaciennes (Strasbourg et Mulhouse, les autres magasins hexagonaux étant gérés nationalement), à une époque où la célèbre griffe à la calèche « renaissait ». Elle se laissait porter par son imagination en partant des thématiques imposées : l’univers maritime, la capitale française (« On a placé des vélos, des tours Eiffel et des lampadaires qui passaient d’une fenêtre à l’autre, au milieu de champs de blé »), l’Inde (« de gros éléphants en papier mâché ») avec une préférence pour les fonds monochromes, « afin de faire ressortir les produits ».

Les franchises attaquent

La décoratrice perçoit le début des années 1990 comme un âge d’or révolu. Les vitrines Hermès ? Leur réalisation est centralisée depuis 2009 : on envoie les décors en kit et MG déco ne se charge plus que des assemblages et soudures. Les échoppes branchées « indépendantes », mises en valeur par Marie Guénot ? Remplacées par des Zara, H&M et autres Mango. « Partout dans le monde, le paysage urbain s’uniformise. À Strasbourg, nous avons deux boutiques Comptoir des cotonniers à cent mètres l’une de l’autre qui présentent exactement les mêmes produits », déplore-t-elle en espérant secrètement qu’on se lassera enfin de voir éclore des banques, officines de téléphonies, enseignes franchisées et chaînes de sushis standardisés…

What else ?

Y a-t-il encore de la place pour celle qui se définit comme « un dinosaure », aimant le dessin et sachant à peine se servir d’un ordinateur, faisant longuement « sa cuisine » en amont et travaillant ensuite « à l’instinct, sur le vif », in situ ? Heureusement oui, à en croire les très nombreux post it jonchant ses murs où sont écrit Villa Gourmet, Secrets de table ou Reck, fidèle client. Tous sont séduits par l’art éphémère (« c’est frustrant et triste de démonter un décor qu’on a longuement pensé ») de Marie, « la chaleur et l’humanité » que dégagent ses réalisations « artisanales », ficelées avec l’aide de son complice Michel Hergott, un MacGyver « capable de faire une vis avec un clou ». La décoratrice s’évertue à faire des vitrines ludiques, « qui font sourire les passants », précise la responsable d’une parodie du What else ? clooneysque adapté au patron des cafés Reck.

Depuis peu, Marie et Michel font partie des Agenceurs, spécialisés dans l’aménagement de boutiques, hôtels, boulangeries, restos, bureaux, etc. Dans ce cadre, la créative réalise des projets “durables”. « C’est agréable de passer de petites “boîtes” à de larges espaces, de travailler sur de grands chantiers pérennes » comme le Barco Latino, La Salamandre, La Taqueria, La Hache ou la future Étoile des neiges à Strasbourg. « On bosse beaucoup pour Franck Meunier qui pense même à nous salarier », rigole-t-elle.

Dans l’immense entrepôt où elle stocke du matériel, neuf et à recycler, on remarque de nombreux magots dégotés en brocantes. « Il y a quelque chose de rassurant à utiliser des choses du passé. C’est notre époque incertaine qui veut ça. » Et de conclure : « Je ne fais que suivre le courant, les modes, les tendances du moment. »

MG Déco, 33 rue du Maréchal Lefèbvre à Strasbourg

03 88 30 08 11 – www.mgdeco.com

vous pourriez aussi aimer