Family business

Photo de Bruno Robin

Chloé Dabert, nouvelle directrice de la Comédie de Reims, présente Orphelins, terrible huis clos signé Dennis Kelly qui la fit connaître, en 2013.

Ce devait être un dîner entre amoureux. Un tête-à-tête sans vin pour fêter une heureuse nouvelle. Mais l’arrivée impromptue de Liam, tee-shirt et mains maculés de sang, change le destin de sa grande sœur et de son beau-frère. Dennis Kelly imaginait en 2009 les déflagrations familiales et intimes du lâcher-prise de la violence dans une banlieue anecdotique du Royaume-Uni. Chloé Dabert a imaginé un dispositif quadrifrontal dans lequel des montants en bois figurant portes et murs créent un effet de transparence qui place le public au plus près de comédiens. La confusion avec laquelle le jeune homme tente d’y expliquer la provenance du sang qui lui couvre la poitrine et les avant-bras intrigue tout autant que la réaction d’Helen, plus inquiète de savoir si c’était un accident que de s’assurer comme son mari Danny de l’état de la personne blessée. Ce petit frère, incapable de tenir en place, a-t-il comme il l’affirme trouvé un type étendu dans la rue, près du parc voisin ? Ce dernier s’est-il réellement relevé pour partir en courant ? Et surtout, pourquoi ne veulent-ils pas que Danny appelle les secours ? Comme souvent chez le dramaturge anglais, également scénariste de l’excellente série Utopia, la confrontation à la violence des rapports humains fait voler en éclats les valeurs dans une tension permanente, transcrite par des comédiens au bord de la crise de nerf.

Photo de Bruno Robin

Orphelins, Liam et Helen le sont, liés par ce coup du sort jusqu’à la fusion, quasi pathologique. Elle le défend bec et ongles, même lorsqu’il évoque « ces bêtes, pas des gamins mais des putains de bêtes là, dehors » ou cet ami tordu, collectionnant machette du Rwanda, flingue avec sigle SS, collection de boites de Zyklon B ou vidéos de décapitation de djihadistes… Dennis Kelly égratigne sans sourciller l’image du multiculturalisme britannique, évoquant le racisme envers les « Pakis » en complexifiant à souhait la situation. Danny aurait été lui-même victime d’une agression il y a quelque mois, que frère et sœur ne manquent pas d’utiliser à profit pour le rallier à leur intérêt : étouffer le crime commis ce soir, préserver la famille contre le reste du monde. Un monde gangréné par la peur – de soi, de ses pulsions, mais aussi des autres – et la lâcheté. Celle d’un trentenaire père d’un enfant qui s’est laissé agresser sans se battre, ne répondant pas à l’impératif de virilité masculine, mais surtout celle d’Helen face à son frère. La cellule familiale devient alors cette entité affreuse qui légitime les pires dérives, multiplie les angles morts comme les reniements. L’endroit même où pourrit toute humanité. À la fin, il va pourtant bien falloir continuer d’essayer de vivre…


À la Comédie de Reims, du 10 au 18 octobre
lacomediedereims.fr

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