Face aux ténèbres

© Stephen Cummiskey

Dans le cadre de Musica, l’Opéra national du Rhin présente la première française de 4.48 Psychosis, adaptation de la pièce de Sarah Kane par le compositeur Philip Venables. Plongée au cœur de la dépression.

Avant de se suicider en 1999, à l’âge de 28 ans, Sarah Kane laisse une ultime pièce, 4.48 Psychosis1, sombre météore qui « parle d’une dépression psychotique. Et ce qui arrive à l’esprit d’une personne quand disparaissent complètement les barrières distinguant la réalité des diverses formes de l’imagination. Si bien que vous ne faites plus la différence entre votre vie éveillée et votre vie rêvée », décrivit-elle. Philip Venables « voulait travailler avec un auteur contemporain et, au milieu d’une représentation de la pièce, me suis aperçu qu’il y avait tout ce que je cherchais dans ce texte », résume le compositeur quadra dont le corpus se collète avec les questions du genre, de l’identité queer et de la politique, comme dans le futur Denis & Katya2. Et de s’avouer fasciné par « une structure très claire faite de 24 tableaux – chacun possédant un caractère et une individualité affirmés – avec des textes extrêmement musicaux, parfois même plus que de nombreux livrets écrits spécialement pour l’opéra [rires]. » Pour plonger dans les arcanes de cette contemporaine neurasthénie – le chiffre du titre faisant référence à l’horaire le plus terrible de la journée, « quand le désespoir fera sa visite, je me pendrai au son du souffle de mon amour », écrit Kane –, Philip Venables a imaginé une partition polyphonique. Dans ce monologue entrecoupé de dialogues avec un psychiatre, il fait s’entrecroiser les timbres de six chanteuses : « Elles sont les voix que nous avons chacun dans la tête, faisceau de pensées parfois antinomiques et contradictoires. »

Photo de Stephen Cummiskey

Extraits baroques de pièces de Bach ou Purcell, fragments funk, échappées dans les sonorités aseptisées de la muzak (musique d’ambiance sans âme diffusée dans les supermarchés ou les ascenseurs), tapis sonores extatiques de cordes… Cette écriture stratifiée a la semblance d’un collage épousant « un texte fait de multiples couches » où les soliloques multiplies alternent avec de rares conversations avec un médecin, « les seuls dialogues dans l’opéra, que j’ai choisi de confier à deux percussionnistes, les mots étant projetés pendant qu’ils jouent. » De cette gigantesque sédimentation sonore sourd une terrible et mortifère mélancolie, parfois striée d’éclairs d’un noir humour.


À l’Opéra (Strasbourg), du 18 au 22 septembre
operanationaldurhin.eu
festivalmusica.fr
Rencontre avec l’équipe artistique à la Librairie Kléber (Strasbourg), mardi 17 septembre à 18h
librairie-kleber.com

1 Texte publié à L’Arche – arche- editeur.com

2 Créé à Philadelphie mercredi 18 septembre, cet opéra narre l’épopée tragique de deux adolescents russes qui se sont filmés en train de tirer sur la police avant de se suicider, le tout étant retransmis en live sur le Net via Periscopeoperaphila.org

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