Exposition : L’Art pour personne à Francfort

© Schirn Presse, Kunst Fuer Keinen

Hors du “réalisme national-socialiste“ officiel, beaucoup ont continué à créer en Allemagne, de 1933 à 1945. À Francfort, L’Art pour personne zoome sur des artistes ayant choisi l’émigration intérieure.

Certains ont fui. D’autres furent déportés, puis exterminés. Plusieurs sont néanmoins restés en Allemagne, n’adhérant pas pour autant à la Reichskammer der bildenden Künste (Chambre des arts plastiques du Reich), ce qui les excluait de facto d’expositions publiques et autres appels d’offre. Avatar de la résistance passive, cette émigration intérieure en forme de retrait fut l’apanage de beaucoup… qui continuèrent à produire, en marge, des oeuvres invisibles, d’une grande hétérogénéité, que nous découvrons dans un parcours fait de quatorze salles monographiques. Il débute avec les toiles de Jeanne Mammen dont la violence colorée d’un Guerrier mourant (vers 1943) évoque le Picasso de Guernica. Plus loin se déploient des noms célèbres, tels Willi Baumeister – avec ses jeux graphiques satiriques sur des cartes postales d’oeuvres d’affidés au Troisième Reich comme Arno Breker – ou Otto Dix. Installé sur les bords du Lac de Constance, ce dernier, jugé dégénéré, quitte les rives de l’expressionnisme pour aborder des compositions paysagères iréniques (Lever de soleil à Randegg, 1935) ou des allégories chrétiennes sur lesquelles plane l’ombre de Matthias Grünewald (La Tentation de Saint-Antoine, 1937).

 

D’autres trajectoires sont plus opaques, comme celle de Franz Radziwill : adhérent au parti nazi et professeur à Düsseldorf, il est dénoncé par… ses étudiants critiquant ses déviances passées. Sont accrochées des huiles illustrant cette ambivalence : Le Casque d’acier dans le no man’s land (1933) peut ainsi être vu comme une critique du militarisme renaissant, mais pas uniquement. Plus claire est la situation de Hans et Lea Grundig, oeuvrant dans la clandestinité – le premier peint l’hallucinant Combat des ours et des loups, en 1938 –, ou de Werner Heldt. Exilé à Majorque en 1933, il publie Quelques observations sur la masse, essai entrant en résonance avec des dessins comme l’étouffant Meeting (1933-35), saturé d’êtres déshumanisés défilant derrière de sombres drapeaux. À cette représentation des démonstrations de force des chemises brunes répondent les paysages urbains déserts, d’une tristesse quasiment métaphysique, réalisés à son retour en Allemagne. Extrêmement sensibles sont les oeuvres d’Hannah Höch : honnie par les autorités – son nom est mentionné dans Nettoyage du temple de l’Art, sinistre pamphlet de Wolfgang Willrich –, elle vit retirée dans sa maison de Berlin-Heiligensee. On demeure médusé devant la souffrance qui sourd de Danse macabre (1940-42), tandis que le diptyque formé par Le Départ sauvage (1933) – en réaction à la nomination d’Adolf Hitler au poste de chancelier – et 1945 (La Fin) ressemble à un fascinant raccourci de ces treize funestes années.


À la Schirn Kunsthalle (Francfort-sur-le-Main) jusqu’au 6 juin
schirn.de

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