Étang de Hanau, cinquante nuances de grès

© Stéphane Louis pour Poly

Quatre châteaux jalonnent une marche autour de l’Étang de Hanau, histoire d’observer les mille et une variations de rose du grès, dans le Parc naturel régional des Vosges du Nord.

La Chapelle Notre-Dame-des-Bois, un nom sonnant avec douceur au coeur des randonneurs, est le point de départ de la promenade. Émouvant édifice – avec sa statue de la Vierge aux yeux bleus, cheveux noirs – témoignant d’une piété toute de simplicité en voie de disparition, elle est enveloppée des bruissements de la forêt se perdant dans les feulements secs d’un vent printanier. L’esprit vagabonde, se laisse emporter par une musique où les chants d’oiseaux, trilles bondissant dans l’air transparent, se mêlent à des sonorités lointaines, déformées par la brise, qui ont la semblance d’une pièce de Messiaen. Mais foin de rêverie, il faut marcher, longer les rives de l’étang de l’Erbsenthal, apprécier les entrelacs mortifères de béton et d’acier de la casemate de l’Altzinsel – vestiges de la Ligne Maginot zébrant le secteur – et évoluer sur des sentes détrempées, bordées par des empilements de billes de bois. À elles accrochés, de petits panonceaux expliquent qu’il est dangereux d’y grimper. Nous attendons avec grande impatience que la société du care mette aussi des avertissements à proximité des flaques (« Eau non potable »), sur le tronc des arbres (« Grimper expose à des chutes ») ou encore sur les pierres (« Me croquer peut générer des risques dentaires »). Liste en expansion permanente.

Faucon

Au sommet d’une imposante butte se détache la silhouette massive mais menue du château de Rothenbourg. Serpentant, le sentier s’élève avec rudesse. Souffle court. Joues rouges. Au sommet, la vue à 360 degrés est un réel ravissement, tout autant que la ruine tout à fait charmante faisant corps avec la roche, dézinguée par les troupes strasbourgeoises en 1369, qui en chassèrent des chevaliers brigands commandés par un certain Jost de Flonheim, avec lequel elles avaient eu maille à partir. David contre Goliath, ça ne marche pas à tous les coups. Mis en appétit par ce mignonnet castelet, nous repartons vers le plat de résistance de la randonnée, sa majesté le Falkenstein. Posée sur une étroite barre rocheuse de 117 mètres de long, cette forteresse dont la silhouette évoque une tête de faucon – qui lui donna son nom – fut édifiée en profonde harmonie avec la roche, d’où son appellation de semi-troglodytique. Si le parcours est quelque peu gâché par une multitude de pancartes explicatives didactico-gnangnan, l’endroit n’en demeure pas moins magique : suspendu au dessus de la canopée, il déploie ses merveilles, de bretèche Renaissance en auge pour molosse taillée dans le grès. Ici d’un rose tendre, ailleurs d’un lilas profond ou d’un saumon soutenu, la roche s’épanouit en centaines d’alvéoles, polygones irréguliers séparés par de minces parois, creusées par les vents et les eaux. L’oeil se perd dans ces cavités minuscules évoquant les sols mystérieux d’une planète lointaine. La contemplation est troublée par une troupe braillarde, composée de garçons et de filles – certes sympathiques, mais aussi discrets que les Joyeux Turlurons de Tintin et les Picaros – émasculant la langue de Gœthe de manière insupportable. Courage fuyons et déportons le pique-nique ici originellement prévu au voisin Helfenstein.

Étang de Hanau
© Stéphane Louis pour Poly

Éléphant

Longtemps nommé Wachtfelse (le rocher de la garde), l’endroit n’était pas considéré comme un édifice castral : il a fallu attendre les années 1920 et une publication signée Adolphe Malye dans le Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Haguenau pour lui rendre sa qualité originelle et montrer qu’il était en conflit avec son voisin immédiat (dont les troupes le détruisirent vers 1435). Son nom ? Une référence à l’éléphant rappelant la silhouette massive du rocher sur lequel il trône. Le pachyderme face au faucon, ça a d’la gueule. Une fois vainqueur, le volatile se servit de son adversaire défait comme d’une carrière de pierres à ciel ouvert.

Étang de Hanau
© Stéphane Louis pour Poly

On demeure ébahi par ce monolithe brutaliste dont le profil évoque pourtant curieusement la délicatesse des visages dessinés par Jean Cocteau. Le lieu est exquis pour saucissonner d’importance. Les knacks d’or barbotent dans une soupe où les lentilles rencontrent le poireau sauvage. Voilà cependant notre somnolence postprandiale interrompue par des coups sourds : est-ce le tonnelier fantôme du Falkenstein, cognant comme un boeuf sur son fût, histoire d’indiquer combien de barriques de vin seront produites dans l’année ? Non, il n’est pas minuit. L’explication est plus simple lorsqu’on aperçoit, au loin, un couillon tapant sur un djembé, se prenant visiblement pour Adélaïde Ferrière. Quand la musique n’est pas bonne, et bien on se lève et on se casse. Direction l’étang de Liesbach, puis celui de Hanau, où une pause s’impose à l’Hôtel Beau Rivage : bière exquise, accueil itou et charme suranné des années 1980, on recommande sans réserve.

© Stéphane Louis pour Poly

Un passage par Waldeck et son château à l’incroyable donjon plus tard et nous sommes déjà presque de retour à notre point de départ. Mais avant cela, il s’agit de longer une immense falaise de grès s’étendant sur quelque 450 mètres et haute d’une trentaine, un des plus beaux endroits des Vosges, assurément. Curieusement nommé Erbsenfelsen (rocher aux petits pois ; sans doute, une référence aux galets enchâssés dans la roche sédimentaire), l’endroit est d’une écrasante beauté. Fièrement plantée dans le sol, cette lame de grès percée d’une arche spectaculaire évoque plus les déserts de l’Arizona que les étendues giboyeuses mosellanes. Et de penser à un poème de Zéno Bianu, retrouvé au retour : « Je tire les comètes / par la queue / je veux écouter l’univers / écrire / je veux entendre l’univers / sauter d’une falaise / dans le coeur du jazz. » C’est donc légers et titillant la note bleue que nous repartons vers d’autres aventures.

Étang de Hanau
© Stéphane Louis pour Poly

Se préparer avec eux

Voilà un site parfait pour se préparer, histoire que chacun puisse trouver la randonnée – à pied, à vélo, à VTT – qui lui convient le mieux dans le Parc naturel régional des Vosges du Nord. Ce précieux topoguide est l’indispensable compagnon du randonneur. De multiples filtres (relatifs à la difficulté, à différentes thématiques, à la localisation géographique…) autorisent une flexibilité maximale. Si, avec ça, vous ne trouvez pas une promenade faite pour vous, c’est à n’y plus rien comprendre ! Une fois choisi l’itinéraire, ne reste qu’à l’imprimer et / ou à télécharger le tracé, puis le transférer sur un GPS, et en voiture Simone !
randovosgesdunord.fr

© Stéphane Louis pour Poly

Se perdre avec nous

Vous avez aimé cette randonnée ? Vous allez adorer l’ouvrage Balades pour se perdre qui en contient vingt-cinq. On y retrouve les « deux polissons misanthropes » – comme les qualifia un confrère à la plume gracile –, le photographe Stéphane Louis et l’auteur de ces lignes. Nous vous invitons à redécouvrir les Vosges avec ces promenades explorant avec poésie l’histoire et l’âme d’un massif dont nous sommes amoureux. Mots choisis et images carrées, cette littéraire invitation au voyage entraîne le lecteur sur ses sentiers bien connus (comme le Mont Sainte-Odile) mais lui fait aussi découvrir des lieux secrets tels le Hilsenfirst. Voilà exaltante et indispensable lecture en ce printemps commençant.

© Stéphane Louis pour Poly

Paru à La Nuée bleue / Magazine Poly (25 €)
nueebleue.com

vous pourriez aussi aimer