Et on tuera tous les affreux

Dans une société pas si éloignée de la nôtre, beauté et apparence ouvrent toutes les portes, au risque de troubler les personnalités et les identités. Voilà le thème du Moche créé par Christine Berg, au Taps Scala.

Écrite en 2007, cette pièce de Marius von Mayenburg, auteur trentenaire actuellement dramaturge à la Schaubühne de Berlin, offre une critique originale, vertigineuse et insolente de la dictature des canons de beauté fabriqués par la chirurgie esthétique. Lette, ingénieur brillant et concepteur du dernier petit bijou de l’entreprise qui l’emploie, se voit préférer Karlmann, son assistant au physique plus agréable, pour aller sur les salons au contact du public. Il faut dire que Lette n’est ni plus ni moins que… moche ! Lorsque sa femme lui avoue avoir surmonté l’aversion physique qu’il lui a toujours procurée, il se rend chez le docteur Scheffler, as de la chirurgie esthétique, pour un ravalement de façade en règle. Merveille du scalpel et des implants, Lette en ressort beau comme un dieu grec, apollon faisant non seulement craquer sa femme qui n’en croit pas ses yeux, mais aussi toutes les autres, comme Fanny, septuagénaire refaite des pieds à la tête qui dirige un grand groupe industriel. Relancé sur le devant de la scène comme son plus bel atout par son boss, il devient même l’égérie de son diable de docteur.

Dans la société post-moderne à la cruauté assumée décrite par Mayenburg, « ne comptent que la surface, le jugement de l’autre et l’argent » explique Christine Berg. Par d’habiles retournements de situation, les rôles s’inversent et Karlmann, qui vient d’inventer une nouvelle version du connecteur, se retrouve à son tour sur la touche au profit de Lette. Pire, la société s’affole et des centaines de personnes ont désormais le visage de ce dernier, canon de beauté vanté et façonné à l’infini par le docteur Scheffler. De cette duplication, « l’auteur s’amuse beaucoup (…) en spécifiant que les opérations de chirurgie esthétique ne changent rien à la physionomie des personnages… Mais alors pourquoi un homme jugé laid, après un tour de passe-passe pseudo-médical, devient tout à coup une beauté ? », questionne la metteuse en scène. « Parce qu’on l’a décidé, parce que la société le juge différent, ne le voit pas tel qu’il est ni tel qu’il était, parce que la beauté est une valeur relative qui s’achète et se vend bien. Mais lui, au fond, il n’a pas changé. Mais qui s’inquiète du fond ? » Nous ne sommes pas dans Et on tuera tous les affreux de Vernon Sullivan (un des pseudos de Boris Vian). Ce pastiche de polar drôle et claquant voyait son personnage principal régler son compte au docteur voulant imposer des êtres parfaits, beaux et identiques sur terre. Le monde de Mayenburg voit ses personnages se brûler les ailes dans une course effrénée au diktat de la beauté, se perdre dans une intégration à la norme, devenir absolument interchangeables.

À Strasbourg, au Taps Scala, du 11 au 13 février
03 88 34 10 36 – www.taps.strasbourg.eu

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