Essai (cinémato) graphique

Le nouvel album du Strasbourgeois Blutch, Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 2009, est une réflexion graphique non narrative sur le cinéma. Quand le neuvième art tente d’en finir avec le septième…

Le point de départ ? « Un hors-série de Pilote sur le cinéma. Quelques planches livrées et l’impression d’avoir simplement soulevé un coin du voile. » Blutch s’est alors engouffré dans la brèche pour expliciter une réflexion sur un art qu’il découvre… à la télévision, enfant, avec « de Funès, les derniers Gendarme, les gendarmettes ou les extra-terrestres ». Après, il y eut les salles strasbourgeoises, aujourd’hui pour la plupart disparues. Séquence souvenirs où apparaissent le Rit’s, le Club, le Cinébref – évidemment – dont on perçoit les échos, allusifs et assourdis dans l’album, avec des vues de la ville. Autobiographique ? Plutôt un questionnement sur le rapport au cinéma de Blutch, « entre attirance et répulsion. Mais c’est ma relation générale avec les choses » précise celui qui « n’a jamais été fan, ni idolâtre ». Dans son casting il n’y a pas d’acteurs d’aujourd’hui : « J’en aime certains – comme Joaquin Phoenix ou Javier Bardem – mais je ne sais pas quel sera leur destin. Peut-être vont-ils faire des films minables, et j’aimerais que le livre puisse encore être lu par un type qui le trouverait dans un vide grenier en 2080. C’est donc plus commode de parler de figures dont le destin est achevé, ou presque. »

Portrait de Blutch signé Benoît Linder pour Poly

Des planches d’une intense élégance en noir et quelque chose (rouge, bleu, vert, jaune…) – Blutch avoue avoir « pompé » Jean-Claude Forest dans Barbarella – pour un livre éclaté, intime et universel à la fois. Voilà un résumé possible d’un improbable objet dessiné où l’on croise un Jean-Luc Godard hagard pêchant des poissons qui se desquament puis se désagrègent dès leur sortie de l’eau, une page comportant vingt portraits de Burt Lancaster, un Piccoli mélancolique, la boucle du ceinturon de John Wayne, les jambes luisantes de Stéphane Audran, La Planète des singes, un portrait composite, le plus beau qu’on ait vu, de Visconti en sept vignettes… Entre la grande Histoire, histoires multiples, introspection intime et onirisme méditatif, Blutch propose une errance inspirée sur les chemins de la nostalgie. Le cinéma n’est-il pas le plus beau moyen de voir le temps passer ? Il suffit de disséquer les métamorphoses du corps de Burt Lancaster : jeune brute, grande brute puis vieille brute… « Tout du long, l’artiste de cinéma livre à tout le monde le spectacle de sa lente décrépitude. »

Pour en finir avec le cinéma est paru chez Dargaud (19,95 €)

www.dargaud.com

 

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