De la planète Mars

Un toit flottant au-dessus de la cour Visconti qui, telle une aile de libellule, coiffe le département des Arts de l’Islam du Musée du Louvre. Un Musée de Civilisations pour l’Europe et la Méditerranée sur le Vieux Port de Marseille, entre béton et lumière, voilà les deux derniers grands projets de Rudy Ricciotti. Grand Prix national d’Architecture en 2006, ce Marseillais à la gouaille légendaire se met à table pour Poly et croque l’organisation de Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la Culture.

Vous avez dessiné le Mucem[1. www.mucem.org], dont l’ouverture est prévue au printemps 2013, qui redonne de la gueule au Vieux Port de Marseille. Dans quel esprit l’avez-vous conçu ?
J’ai travaillé sur ce projet avec anxiété. C’est un site historique chargé de violence, lui-même fondé sur une notion de luttes contre la république. Le Fort Saint-Jean, où furent brûlés les soldats jacobins, était plus chargé de défendre Marseille contre elle-même que contre les agressions venues de l’extérieur. D’ailleurs personne n’a jamais voulu de Marseille ! Le Capitaine d’armes des lieux s’en souvient encore, lui qui vit ses tripes fumantes promenées au bout d’une fourche par les Marseillaises en fureur. Dans ces conditions, j’ai du faire face à un sentiment d’inquiétude, sans aucune vision de ce qu’il y avait à réaliser. J’ai également trouvé la commande inquiétante en elle-même. Qu’est ce qu’un musée national anthropologique ? Se sont alors posées les questions suivantes : Où est le contexte ? Quelle architecture quand tout est déjà là ? Des interrogations qui naviguent avec le doute. La question existentielle prend toujours l’architecture à la gorge. Il est apparu évident de refuser la brillance bling-bling qui pourrait être considérée comme une affirmation d’impérialisme matériologique rivalisant avec le Fort. À la massivité du Fort répondra la dématérialisation du Mucem.


Ce musée ne rivalise pas avec le Fort. Il est mat, ne porte pas les stigmates tardifs de la néo-modernité ni les signes névrotiques de la déconstruction. Il ne se situe pas sur les affirmations esthétiques de l’architecture internationale. Il est plutôt osseux, féminin, fragile et même maniéré. En un mot, il est provincial, localisé, provençal, contextuel, comme l’imaginaire de Frédéric Mistral. La circulation extérieure par rampes périphériques au musée procède du mouvement de la ziggourat[2. Édifice religieux mésopotamien en forme de pyramide à étages cubiques superposés, en retrait les uns sur les autres et reliés par des escaliers extérieurs, dont la fonction demeure floue même s’il s’agirait plutôt d’un lieu de culte et de sacrifices] et devient cheminement long et initiatique pour arriver sur la terrasse reliée au Fort Saint-Jean par une passerelle. La spécificité de ce projet relève aussi de l’archétype ancien. Elle est une linguistique irrationnelle du point de vue de la dictature fonctionnaliste. Le Mucem, avec la peau et les os, sa maigreur structurelle, son absence de reflet et de brillance renvoie à la métaphore de l’espace méditerranéen. Ce projet fut dessiné il y a 10 ans, en 2002, et porte la question du remord et de la difficulté d’être comme l’est le Sud. Il est un extrait de voyage et non un extrait de naissance. C’est par croyance que l’on se situe au Sud et non par crispation identitaire. La filiation avec un déshabillé orientaliste lointain marque cet édifice. Il porte ses ombres sur la figure. Ce projet est nostalgique comme l’est l’Alsacien après avoir bu « ein liter » !

Même si ce n’est pas votre premier projet architectural à Marseille, c’était un rêve de pouvoir mettre votre patte sur votre ville ?
Marc Boucherot, artiste marseillais rebelle, m’a dit : « Tu as niqué l’entrée du port ! » Pour lui c’est l’éloge maximum ! C’est mon premier véritable projet. Le précédant était un braquage pour l’extension de l’École d’Architecture où je recevais un tir de barrage de la milice locale.

Vue du chantier du MUCEM, à côté du Fort Saint-Jean © Lisa Ricciotti

Finalement, “le label Marseille-Provence 2013, Ville européenne de la culture” a permis au projet d’aboutir et n’aura donc pas amené que des tripatouillages politiques, retraits de certaines villes, querelles entre collectivités ou encore coups bas entre artistes. Il y a quelque chose de bon dans Marseille 2013 ?
Gémissons, espérons ! Je n’attends rien de la Capitale Européenne de la Culture, les marseillais non plus d’ailleurs. Il faut s’interroger sur le caractère non durable de cet investissement de 92 millions d’euros. Je suis plutôt excité par les allumés du OFF qui ont déposé le titre « Marseille 2013 » bien avant que la ville ne l’obtienne. Eux travaillent avec zéro euro public et sont totalement acteurs de la vraie dynamique marseillaise des arts vivants. Vous devriez publier leur programme[3. Programme complet, appels à participation et goodies savoureux au www.marseille2013.com, pour le site officiel du IN aller au www.mp2013.fr] ! Dans cette cité vivent au moins 10 000 artistes, c’est considérable. Ce chiffre regroupe toutes les disciplines : mode, poésie, graphisme, etc.

Vous en feriez quoi de ces 100 millions d’euros ? Votre cité idéale ?
Je diviserais cette somme en dix mille parts pour dix mille artistes. Cela fera 10 000 € par artiste. Ce vrai projet esthétique à profondeur politique se heurterait au procès « en démagogie » que l’administration culturelle ne manquerait pas de faire. Là est l’éternel débat où le budget de fonctionnement bouffe le budget d’investissement… Mais il ne faut rien dénoncer au risque de paraître poujadiste.

© Agence Rudy Ricciotti

Ce sont peut-être les organisateurs du OFF qui ont raison en pastichant les mauvais côtés des Marseillais avec les quatre sous-programmes : Poubelle la ville (belle & laide), Mytho City (se transforme & se la raconte grave), Merguez Capitale (cosmopolite & un village) et Kalachnik’OFF (inégalitaire & solidaire). Finalement le problème de Marseille, ce sont les Marseillais ?
L’autodérision est une marque d’élévation spirituelle. Les artistes du OFF non subventionnés inscrivent la question esthétique sur une perspective politique. En ce sens, ils sont au cœur du projet artistique. L’héroïsme de l’art est de se situer à la limite de la visibilité politique. Les artistes se mettent en danger. Les premiers, les plus exposés, sont les poètes. Ils sautent sur les champs de mines, ceux sont les fantassins de l’expérimental. Puis suivent les plasticiens souvent aéroportés. Puis quand tous ont subi la boucherie, arrivent les architectes en chars lourds. Cette hiérarchie des engagements au combat esthétique fabrique une culpabilité réciproque. Mais au-delà, derrière le miroir de la création, le cynisme reste entier. Olivier Amsellem, grand photographe marseillais reconnu au niveau international, s’est vu opposer un refus d’aide de quelques milliers d’euros au principe qu’il n’y a pas d’argent.

Vous soutenez depuis plusieurs années la maison d’édition Al Dante qui édite des poètes libertaires mais aussi des personnalités comme le photographe Bernard Plossu, la body artist Orlan ou encore Jean-Marc Rouillan d’Action directe. Un engagement rare pour un architecte…
Al Dante défend les écritures expérimentales et des auteurs de toutes générations. Voilà bientôt cinq ans que je maintiens cet engagement. Mais vous citez un photographe, une plasticienne et un ancien terroriste ayant purgé sa peine. Allez sur le site et vous verrez que de nombreux poètes radicaux dans la forme de leur écriture y sont publiés. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?

* Suivez les projets de Rudy Ricciotti sur www.rudyricciotti.com

* Découvrez le catalogue et les auteurs défendus par la maison d’édition Al Dante sur www.al-dante.org

* Retrouvez le programme du IN officiel de Marseille-Provence 2013 sur www.mp2013.fr – Pour le OFF, ses appels à participation et goodies savoureux, allez sur www.marseille2013.com
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