Danse avec la loue

Gustave Courbet, Les Lévriers du comte de Choiseul, 1866, fonds remis par Mme Mark C. Steinberg, Saint Louis Art Museum

Yan Pei-Ming face à Courbet : la rencontre a lieu à Ornans où les bêtes farouches guettent dans les grottes béantes et parmi les ruines de la Colonne Vendôme détruite par les amis communards du peintre.

À travers bois, entre le majestueux Chêne de Flagey (Gustave Courbet, 1864), le Cèdre d’Hauteville (1868) et autres arbres sombres se dessinant, la nuit tombée, sur fond pourpre de Yan Pei-Ming, les fauves sont lâchés. Chiens de chasse, tigres, caïmans, renards et loups menaçants sortent de la matière picturale avec rage et se mêlent en une meute sauvage. Né du pinceau fougueux de l’“indomptable insurgé” ou de la brosse XXL de son héritier, ce bestiaire sauvage a la gueule grande ouverte, rouge sang, comme la signature de l’ami de Proudhon deux fois centenaire. Le peintre réaliste (1819-1877), créant de fascinants paysages – non urbains ! – avec ses occupants poilus, a également posé son regard plastique sur les Hommes, lui-même en premier lieu, via ses nombreux autoportraits, ou les membres de sa famille et ses proches, Charles Baudelaire (1848) notamment, autre personnage libre. Chez Courbet, les corps et la chair sont scrutés dans leurs moindres détails : l’entrejambe représenté sur le célébrissime L’Origine du monde (non exposé ici) ou le couple de femmes nues, couchées et enlacées, enveloppées dans un tendre Sommeil (1866) quasi post-coïtal. Yan Pei-Ming fait écho à l’érotisme charnel de son modèle avec sa Prostituée (1998) : une dénommée Amélie, accroupie dans le plus simple appareil, hormis de hauts talons aiguilles, exhibe son sexe, impudique, effrontée. Le plasticien franco-chinois installé à Dijon et ayant réalisé une série de très grands formats dans l’atelier de Courbet rend-il hommage à un plasticien qu’il juge provocateur, voire vulgaire ? Non, proteste-t-il : « Pour moi, c’est une forte personnalité. Quand je regarde Un Enterrement à Ornans et la manière dont il a mis en scène tout son village, du boucher au curé, je vois que c’est un peintre qui, parce que son regard est différent, révolutionne la manière d’appréhender le sujet. » Grâce à lui, Pei-Ming a tout bonnement « redécouvert la peinture », qu’il s’agisse de « réalisme du traitement », de « classicisme des compositions » ou de « romantisme incroyable ».

Yan Pei-Ming, Wild Game: The Way of The Wolves, 2011. Photographie : Andr. Morin. ADAGP, Paris, 2019

Le panthéon de ming
L’Homme qui pleure. Le titre de l’exposition de Yan Pei-Ming, dans un Musée des Beaux-Arts dijonnais totalement métamorphosé après une dizaine d’années de travaux, résonne avec le nom d’une toile de Courbet : L’Homme blessé (1844-1854). À la manière de son inspirateur, Pei-Ming est un artiste de la souffrance, l’espoir et l’effroi. Voulue comme un journal intime ouvert et se déployant sur tout l’espace muséal, l’exposition révèle notamment le culte que le plasticien bourguignon voue au Caravage ou à Goya qu’il revisite sur ses fameuses immenses toiles.

Au Musée des Beaux-Arts de Dijon, jusqu’au 23 septembre
musees.dijon.fr


Au Musée Courbet (Ornans) et en son Atelier (sur réservation), jusqu’au 30 septembre
musee-courbet.doubs.fr

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