Chansons douces

Photo d'Alexis Gicard

Mêlant le spleen du chant arabe à des mélodies folk pleines de rondeurs, Jawhar défend en tournée son dernier opus, hypnotique et désenchanté, Winrah Marah.

Jawhar compose et chante dans sa langue maternelle une pop-folk intimiste, aérienne et mélancolique. On dit sou- vent de lui qu’il est le Nick Drake tunisien. Raccourci marketing qui pourrait prêter à sourire, s’il ne collait pas si parfaitement au murmure enivrant de sa voix. Sorti fin 2019, Winrah Marah, troisième album du songwri- ter, qui vit aujourd’hui en Belgique, s’écoute les yeux fermés. Il nous transporte dans les paysages de montagne et de lumière du pays de son enfance, où l’homme a composé les dix titres lors d’un séjour de quelques semaines. « J’ai écrit l’ensemble sur une période très courte », explique-t-il. « Je voulais faire quelque chose de ramassé, avec une forte unité dans les textes, et dans la musique aussi. » Ses chansons douces sont autant de fables sur les sociétés maghrébines contem- poraines et le blues post-printemps arabe. Chacune est centrée sur un personnage prin- cipal, comme sur le morceau ayant donné son nom à l’album, Winrah Marah (Où est passé Marah ?), qui parle d’une « femme n’ayant jamais eu d’enfant et qui, arrivée à un certain âge, devient folle de toute la pression sociale subie. Pour résister et survivre, elle s’invente un fils qu’elle cherche partout. » L’ensemble forme comme un recueil de nou- velles, entre réalisme et allégorie politique. L’une raconte l’histoire d’un fou du village, une autre met en scène un homme qui vit sa religion de manière très personnelle et essaie de défendre sa liberté d’interprétation. Et puis il y a le texte de Menich Hzin, dont le protagoniste déambule dans les rues, attiré par une lumière incroyable avant que, tout à coup, les égouts se mettent à déborder et les massacres se perpétuent sous ses yeux. Lui, répète : « Je ne suis pas triste. Je continue de résister. » Comme le font aujourd’hui encore certains artistes tunisiens, malgré les illusions perdues après la révolution du jasmin. « Au fur et à mesure de l’écriture », confie Jawhar, « je me suis rendu compte du fil rouge qui unit ces différents contes. Leurs personnages ont un point commun : ils sont tous un peu à la marge, avec une individualité très forte, et luttent pour maintenir leur singularité contre le groupe, la communauté, la société, qui voudrait les faire rentrer dans le rang. » Derrière les mélodies hypnotiques, le fond des paroles donne écho à d’autres émotions, blessées et révoltées.


Les concerts initialement prévus à la Poudrière (Belfort, en coréalisation avec VIADANSE), mardi 10 novembre poudrière.com et à L’Autre Canal (Nancy), jeudi 19 novembre lautrecanalnancy.fr sont annulés. 

Paru chez 62TV Records/PIAS jawharmusic.com

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