Ces gens-là

Sortie d'Usine © Arnaud Ledoux

Entre le conte, l’écriture et le jeu, Nicolas Bonneau ne sait choisir. Un père décidant d’arrêter d’aller à l’usine le met sur le chemin de cette classe et de ces ouvriers oubliés de la marche en avant du monde. Naît un monologue : Sortie d’usine.

Être artiste est une fonction, pas une profession. Jeune trentenaire, Nicolas Bonneau s’en fait une ligne de conduite. Lorsqu’il voit son père, la cinquantaine venue, se retirer de l’usine où il avait fait carrière parce que ce travail lui était devenu insupportable, il décide de partir en quête de cette mémoire de travail et de cette époque pas si lointaine où le monde ouvrier avait encore un sens. En filigrane, un questionnement sur la perte de la “valeur-travail” de ces gens-là, hommes et femmes dont les enfants « n’étaient pas fiers à l’école. Je n’avais pas envie de tomber dans le militantisme des spectacles habituels sur le sujet », confie Nicolas. « D’ailleurs le choix de ce thème l’est déjà, militant. Je suis allé recueillir leur parole afin de montrer ce qui est dur mais aussi gai et beau dans leur vie de travailleurs : la camaraderie, la croyance en un monde qui va changer… » Tout y a changé, mais pas comme espéré. Sur les cadences, la vision de classe, la fierté d’un savoir-faire et l’humain, « le capitalisme gagne et divise les gens. Les règles sont plus contraignantes, interdisent quasiment de faire des usines des lieux de vie où déjeuner, boire un coup après le boulot. »

Au royaume des taiseux

Pour créer Sortie d’usine dans lequel il interprète tous les rôles de ce théâtre documentaire, reconstituant l’enquête qu’il a dû lui-même mener, le comédien a parcouru les sites industriels, usant de solutions clandestines pour contourner les interdictions d’y pénétrer, caché dans des coffres de bagnole. Bien souvent, c’est à domicile que les langues se déliaient, que les ouvriers dépassaient le spontané « je n’ai rien d’intéressant à dire ». Et l’on découvre alors « les ravages subis par des syndicalistes brimés » n’ayant que les morceaux éparpillés de souvenirs d’une vie de couple révolue pour se consoler, « les femmes tenant la baraque » et les mômes, l’irréversible écart de culture et de valeurs entre les ouvriers retraités et les jeunes générations des usines modernes, le silence et l’anonymat… « Paradoxalement, le spectacle est plutôt drôle mais les ouvriers, eux, ne rient pas car c’est leur quotidien », observe Nicolas. Quant à son propre père, il n’a rien dit. « L’important est qu’il l’ait vu. » Parce que, comme le disait Brel, « chez ces gens-là, on ne cause pas Monsieur, on ne cause pas… »

À Strasbourg, au Taps Gare, du 13 au 15 mai
03 88 34 10 36 – www.taps.strasbourg.eu
http://nicolasbonneauconteur.hautetfort.com
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