Au nom de Roz

Avec une vie digne d’un roman d’aventures, la franco-afghane Chékéba Hachemi[1. Retrouvez un entretien avec Chékéba Hachemi ici] raconte dans L’Insolente de Kaboul ses quinze dernières années de combats pour la cause des femmes dans son Afghanistan natal.

« Mon père disait que la France offrait un rêve au monde et que l’on peut partager un rêve comme on embrasse un idéal. » Voilà le premier modèle qui forgea la jeune Chékéba, élevée dans la bourgeoisie de Kaboul. Ses frères, elle les a vus fuir, un à un, la conscription pendant l’occupation russe avant de devoir, au sortir de l’enfance, passer à son tour clandestinement au Pakistan, à travers les bombardements faisant rage dans les montagnes. Destination Alfortville dans un petit appartement transformé par ses frères en lieu d’accueil de la résistance et de tous les Moudjahidines en exil. Transiteront des commandants ou encore le frère de Massoud, Ahmed Zia, futur vice-président afghan. Chékéba mène de front des études en école de commerce et deux jobs pour les payer, assurant en plus, tout le quotidien pour la famille. Quand les Talibans renversent le gouvernement des Moudjahidines en 1996, instaurant un régime islamiste ultra répressif, elle monte l’ONG Afghanistan Libre pour bâtir des écoles et défendre le droit des femmes. Avec une ténacité doublée d’un culot à toute épreuve, elle remue ciel et terre, organise événements et collectes de fonds pour venir en aide à la région du Panshir où résistent Massoud et ses hommes.

Début 2001, le monde s’émeut bien plus du dynamitage des Bouddhas de Bâmiyân par les Talibans que des lapidations de femmes dans le stade de Kaboul. Chékéba œuvre en coulisses, auprès de Massoud, qui prononce un discours remarqué devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg, dénonçant la montée d’un terrorisme qu’il voit, prophétiquement, se propager au reste du monde. La stature internationale de chef d’état qu’il acquiert « a sûrement précipité sa perte quelques mois plus tard ». Pas de quoi entamer la ténacité de celle qui devient diplomate à Bruxelles. Trois ans à batailler au cœur même des méandres administratifs de l’Union européenne. Peu importe. Seuls comptent les résultats pour son pays ravagé. « Je suis binationale comme on est bipolaire, soumise et féministe, et seule l’action me hisse au-dessus de ma mêlée intime », confie-t-elle. Sa plus grande fierté sera d’avoir réussi l’incroyable pari de créer Roz, avec l’aide des journalistes de Elle. Le premier – et le seul ! – magazine féminin fait par et pour les Afghanes qui sort, depuis avril 2002, chaque mois. En 2005, le vice-président afghan Ahmed Zia Massoud la propulse au rang de conseillère, à Kaboul. Un salaire de misère (300 $ par mois) pour une lutte sans fin contre les préjugés machistes de son gouvernement – incapable de concevoir qu’une femme soit à son poste pour ses qualifications – et contre la corruption généralisée. C’est d’ailleurs pour la dénoncer qu’elle quittera ses fonctions. Rien n’y fera. Insolente et insoumise, Chékéba continue ses combats depuis la France, tête haute, regard fixe et humour bien trempé dans une vie d’épreuves.

L’insolente de Kaboul, Anne Carrière Éditions, 2011 (18,50 €)
www.anne-carriere.fr
http://afghalibre.typhon.net

vous pourriez aussi aimer