Au coeur des conflits

Luc Vleminckx

La septième édition des Vagamondes, festival des Cultures du Sud de La Filature, propose un focus sur le Moyen-Orient. Spectacles, expos, films et conférences, pour ne rien rater des mutations du monde.

I Know Why the Rebel Sings. Le joli titre choisi par la jeune photographe iranienne Newsha Tavakolian n’est pas sans rappeler celui du roman autobiographique de Maya Angelou, poétesse et figure de la lutte pour les Droits civiques, I Know Why the Caged Bird Sings. De quoi donner le ton des Vagamondes, festival s’ouvrant sur les clichés d’un des grands talents actuels du photojournalisme, recruté par la prestigieuse agence Magnum. Celle qui couvrit conflits régionaux et Guerre en Irak à tout juste 20 ans, s’est ensuite tournée vers des reportages au long cours, en forme de séries auprès des combattantes au Kurdistan irakien. Ses portraits de la société iranienne livrent un regard sans fard sur une jeunesse avide de liberté face au plafond de verre islamiste, des chanteuses iraniennes interdites d’exercer leur art jusqu’à la vie quotidienne sous la censure. L’Iran encore et toujours se dévoile dans sa contemporanéité avec le retour d’Amir Reza Koohestani. Le metteur en scène clôt sa trilogie initiée par Timeloss et Hearing*. Summerless nous entraîne à la rencontre de trois personnages : un peintre, une surveillante d’école et une jeune mère. Les deux premiers vécurent ensemble, un temps. Mais l’envie de vivre de son art de celui dont, malheureusement, les toiles ne se vendaient pas, n’était guère compatible avec celle d’avoir, pour elle, un enfant avant qu’il ne soit trop tard. Chargée de faire redécorer l’école, elle se tourne vers la seule personne qu’elle connaît, son ancien amant, pour recouvrir les slogans s’étalant sur les murs depuis la Révolution. Le peintre prend son temps, discutant chaque jour avec une maman attendant la sonnerie, assise sur le tourniquet des enfants. Petit à petit, elle découvre que c’est son portrait qui prend forme sur le mur… Amir Reza Koohestani approche la solitude de ses personnages dans un récit courant sur neuf mois. Le politique se noue dans l’intime. Passé et présent fusionnent les espoirs déchus et les rêves de possibles en trois saisons, sans été en pente douce, au plus près des êtres et de leur fragilité.

Fly Like a Bird

Autre événement du festival, la venue de la nouvelle pièce de Wajdi Mouawad, tout juste créée à La Colline. Tous des oiseaux renoue avec les grandes fresques du cycle du Sang des promesses (Ciels, Incendies, Littoral, Forêts) qui en firent l’incontournable auteur et metteur en scène du XXIe siècle débutant. Comme souvent les destins intimes se voient bouleversés par la violence du monde et les héritages familiaux qui nous lient, surtout quand ils sont invisibles : Wahida, étudiante américaine d’origine arabe, poursuit une thèse sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzan, diplomate musulman du XVIe siècle obligé de se convertir au christianisme après avoir été capturé par des corsaires. Eitan, jeune biologiste allemand et juif enquête sur ses origines en Israël lorsqu’il est victime d’un attentat dans un bus. Leur amour, déjà bien entamé par les raideurs parentales, se retrouve balayé par le conflit israélo-palestinien. Les identités se dévoilent, se défont et se recomposent en quatre langues (allemand, anglais, arabe et hébreu). Le drame de l’histoire secoue une génération ployant sous le poids de plaies non refermées, suintant encore et toujours une bile sombre.

Lumière sur la ville

Yes Godot de l’irakien Anas Abdul Samad et Chroniques d’une ville qu’on croit connaître de Wael Kadour et Mohamad Al Rashi constituent deux créations mondiales finalisées à Mulhouse après une période de résidence. Les deux artistes syriens évoquent Damas par le biais de multiples personnages qui, tous, connaissaient Nour (infirmière, journaliste, parents, etc.). Une amie proche de l’auteur de théâtre Wael Kadour, qui mit fin à ses jours en 2011, alors que les soubresauts des Printemps arabes faisaient miroiter un changement. S’il s’exila en France, Mohamad Al Rashi n’eut pas cette chance, croupissant dans les geôles du régime. Les deux artistes se retrouvent en France autour du geste de désespoir de Nour, proposant une exploration sensible de la férocité à l’oeuvre dans les systèmes politiques, économiques et religieux syriens, bien avant la guerre civile.


À La Filature et à l’Afsco (Mulhouse) et à l’Espace Tival (Kingersheim), aux Dominicains (Guebwiller), au Relais culturel Pierre Schilé (Thann), à l’ED&N (Sausheim), à l’Espace 110 (Illzach), à La Passerelle (Rixheim) et à La Kaserne (Bâle), du 9 au 20 janvier

lafilature.org

I know why the rebel sings, exposition de Newsha Tavakolian, à la Galerie de La Filature (Mulhouse), du 9 janvier au 17 février

Summerless d’Amir Reza Koohestani, vendredi 11 et samedi 12 janvier au Relais culturel Pierre Schielé (Thann), puis mercredi 16 et jeudi 17 janvier à La Kaserne (Bâle)

Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, à La Filature (Mulhouse), mercredi 16 et jeudi 17 janvier, puis au Carreau (Forbach) jeudi 7 et vendredi 8 février

Yes Godot d’Anas Abdul Samad, à La Filature (Mulhouse), du 9 au 17 janvier

Chroniques d’une ville qu’on croit connaître de Wael Kadour & Mohamad Al Rashi, à La Filature (Mulhouse), mardi 15 et mercredi 16 janvier

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