Un homme (pas) pressé

Photo : Benoit Linder

Marionnettiste à la ligne artistique plutôt “expérimentale”, Renaud Herbin vient d’être désigné pour tirer les ficelles du Théâtre Jeune Public à Strasbourg. Choix audacieux, mais sage : le jeune homme a la tête bien vissée sur les épaules.

Parce qu’il est auteur de spectacles parfois un peu flippants comme Vrai ! Je suis très nerveux, en 2003, on se questionne… Va-t-on avoir affaire à un anxieux, un agité ? « Au contraire, je suis du genre à prendre du temps avant de dégainer », affirme, calmement, celui qui vient d’être nommé (1) pour remplacer Grégoire Callies à la tête du TJP dès janvier 2012. Renaud Herbin était-il prédestiné à remplir cette fonction ? Pas vraiment…

Vers 18 ans, au début des années 1990, ce fils de parents travaillant dans l’Éducation nationale tombe « par hasard », dans le Vieux Lyon, sur un spectacle de rue. « Voir une marionnette – matière inerte à laquelle on donne du souffle, de la vie, par le mouvement – s’animer sous mes yeux a été un choc esthétique, une expérience forte et fondatrice. » Après un cursus scientifique, il devient documentaliste, fait un stage rue de Valois, au Ministère de la culture, avant de postuler, au culot, à l’École supérieure nationale des Arts de la marionnette de Charleville-Mézières, « une école qui ne formate pas ». Il en sortira diplômé, en 1999, et y dégottera ses acolytes, Julika Mayer, puis Paulo Duarte, membres de sa compagnie, LàOù (2), sorte de monstre tricéphale où chacun « se nourrit de l’histoire et de la sensibilité des autres ».

La structure rennaise monte Un Rêve (d’après Kafka, en 1999) et Vrai ! Je suis très nerveux (basé sur une nouvelle de Poe), spectacles « un peu nostalgiques avec des décors expressionnistes, faisant référence à des maîtres comme Gavin Glover (3) » dont il revendique l’héritage. Ces pièces de Renaud Herbin mettent en scène des personnages tourmentés, confrontés à leurs propres angoisses. Il tempère : « Mais ça n’est jamais très grave : ce sont des marionnettes. Elles sont troublantes car elles permettent d’aller très vite dans l’illusion » et peuvent nous rappeler aussitôt leur condition de simples pantins articulés.

Progressivement, Renaud Herbin cherche « à inventer des esthétiques plus contemporaines, affirmer les choses plastiquement, être sur des écritures moins narratives, pour interroger le plateau, la marionnette, les corps… » Dans ses spectacles, souvent portés par une musique electro aiguisée, il se donne à voir sur scène. « Je n’ai rien inventé : depuis les années 1970, les marionnettistes sont sortis du castelet (4), mais je m’intéresse à ce qui relie l’homme à la marionnette, comment leurs mouvements se rencontrent. Ceci m’amène à fréquenter des danseurs, à me pencher sur l’écriture chorégraphique », affirme un artiste privilégiant l’interdisciplinarité.

Sa curiosité l’amène à développer, en 2003, le projet Centres Horizons avec l’architecte et vidéaste Nicolas Lelièvre. Fascinés par les villes en construction, « en évolution tangible », ils s’interrogent – « comment se croisent les échelles du politique, de l’urbaniste, de l’architecte et de l’habitant ? » – puis livrent un travail vidéo et des spectacles, comme Mitoyen (2006) et Lopin (2008). Mis de côté depuis 2008, Centres Horizons renaîtra sans doute… à Strasbourg. « Je suis fasciné par la morphologie de cette ville qui ressemble à un puzzle, avec des tranches bien découpées. J’ai envie de la sonder au travers de pièces : ça serait un beau moyen de me présenter. »

Le nouveau directeur du TJP, Centre dramatique national d’Alsace « qui a pour mission la diffusion et la création », rappelle-t-il, désire implanter la structure dans le territoire, notamment en programmant des spectacles (comme Reprendre son souffle de LàOù) dans l’espace public. « Jouer sur le dedans et le dehors d’un théâtre » auquel il veut associer des artistes « qui ont cette capacité à s’inscrire dans la cité et de tricoter avec les associations, les Musées, l’Université ou les théâtres pour développer leurs propositions ». Aussi, Renaud Herbin poursuivra l’ouverture du CDN aux adultes et valorisera encore la marionnette, « un art à part entière et une pratique poreuse ». Sans pour autant délaisser le jeune public et la pédagogie, le TJP deviendrait donc, « progressivement », un théâtre des arts de la marionnette, un « pôle européen », notamment en favorisant les échanges avec l’Allemagne où il a vécu. Ce créateur qui revendique la dimension expérimentale de son travail, mais fait la distinction entre ses préoccupations artistiques et sa « responsabilité par rapport à ce bel outil qu’est le TJP », annonce dès lors « une évolution, sans révolution ».

1 Par le Ministère de la culture et de la communication, la Ville de Strasbourg, le Conseil régional d’Alsace, le Conseil général du Bas-Rhin et la CUS
2 Julika Mayer et Paulo Duarte de la compagnie LàOù seront conviés durant la saison du TJP et lors du festival des Giboulées de la marionnette pour présenter leurs nouvelles créations – www.laou.com
3 Marionnettiste britannique polyvalent qui a fondé la compagnie Faulty Optic à la fin des années 1980
4 Élément de décor où se cachent les marionnettistes

TJP Grande Scène, 7 rue des Balayeurs & Petite Scène, 1 rue du Pont Saint Martin à Strasbourg
03 88 35 70 10 – www.theatre-jeune-public.com
vous pourriez aussi aimer