Premier adjoint au Maire de Strasbourg chargé de la Culture et du Patrimoine, Alain Fontanel est entré en fonction il y a quelques mois. Quelle est sa vision de la politique culturelle ? Où se situent ses priorités d’action ? Est-il possible de maintenir les crédits à la hauteur où ils se trouvent en période de crise ? Éléments de réponse à l’aube de sa première saison.
Pour beaucoup, la politique culturelle, ou plutôt son absence, était un des points noirs du précédent mandat. Dans quel esprit avez-vous pris vos fonctions ? Le Maire a souhaité que le Premier adjoint soit aussi en charge de la Culture : c’est un signal fort qui marque la volonté de la placer au centre et aux confluences des préoccupations de l’action municipale. Depuis trop longtemps à mon avis, ce qui manque à Strasbourg est une formalisation de la politique culturelle. Il est nécessaire de lui donner un sens et un cadre. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une addition d’actions. On parle beaucoup des 9 000 manifestations culturelles strasbourgeoises : ce foisonnement est l’expression d’une vitalité, mais pas celle de choix réels. Une politique dans le domaine, sur un territoire déterminé, ne se résume pas à mener des actions tous azimuts.
En raison de votre parcours, on vous a souvent présenté comme un cost killer et certains craignent que votre vision de la Culture passe par le prisme d’un tableau Excel : son budget sera-t-il maintenu ? Pendant la campagne, un des engagements du Maire a été la sanctuarisation du budget de la Culture. Il sera tenu, c’est-à-dire qu’il représentera toujours la même proportion – 25% – du budget global de la collectivité, mais on ne peut s’exonérer de l’effort global que sont en train de réaliser tous les services. Il est ainsi impératif de faire des économies à hauteur de 4 ou 5%, ni plus, ni moins que les autres, j’insiste là-dessus. Ce ne serait pas sain de créer une situation d’exception. J’ai néanmoins envie d’aller encore plus loin…
Dans quel but ? Ces économies supplémentaires permettront de dégager des marges afin que ces montants soient réalloués au service d’une politique active. Il faut injecter certaines “sommes passives” dans la création. La Culture est avant tout mouvement : lorsqu’on est dans le statu quo, que les choses sont figées, cela finit mal. On pourrait presque appeler cela le “syndrome du Festival de musique de Strasbourg”, déjà moribond avant son collapsus définitif. Il faut des énergies nouvelles en permanence.
Comment réaliser les économies que vous souhaitez ? Nous nous livrons actuellement à un audit afin de multiplier les coopérations entre les différents acteurs : un service de reliure existe par exemple aux Médiathèques, aux Musées et aux Archives. Une plus grande synergie entre les trois permettra sans doute de réduire les coûts. Une meilleure organisation administrative sera également de nature à dégager des marges : dans certains services, comme aux Musées, dans le domaine du nettoyage et du gardiennage en tout cas, le taux d’absentéisme est extrêmement élevé. Il faut en analyser les causes pour le réduire et, là aussi, faire de substantielles économies tout en améliorant le service public. Voilà deux exemples simples qui ne remettent en rien en question les moyens affectés à la création.
Vous parliez tout à l’heure de politique culturelle : dans quel cadre doit-elle se déployer ? Il me semble essentiel d’organiser la relation entre la puissance publique et les structures culturelles qu’elle finance intégralement ou en partie. Nous devons contractualiser ces liens, c’est-à-dire mettre en place des contrats d’objectifs qui n’existent pas suffisamment aujourd’hui. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de s’immiscer dans les choix artistiques de chacun, mais de fixer ensemble un cadre en termes de coopération entre les différentes institutions, de présence dans les quartiers, d’actions en direction du jeune public… La quantification de ces objectifs doit se faire dans le dialogue. Il est de plus important qu’existe un suivi permanent et une analyse a posteriori.
Pourquoi cette volonté de contractualisation ?J’ai la responsabilité d’une politique publique où le verbe doit se concrétiser dans l’action : pendant des années, on est restés dans une “politique au fil de l’eau”. Au début, elle satisfait tout le monde, car il n’y a pas de contraintes. À l’arrivée cependant, chacun est frustré car plus personne ne sait où il va. Ce n’est qu’avec des contrats d’objectifs clairs que l’on pourra efficacement remplir les deux buts principaux – et complémentaires – de la politique que je souhaite mener : un accès du plus grand nombre à l’offre culturelle sur le territoire et un rayonnement accru au-delà de celui-ci, à l’échelle nationale et internationale. Personne ne peut en outre définir seul une politique, ni l’imposer à l’ensemble des acteurs : cela doit se faire dans la fluidité, dans l’échange et le dialogue.
Comment permettre l’accès accru à la Culture du plus grand nombre que vous appelez de vos vœux ? Pour toucher le public le plus large possible, il est essentiel de renforcer les actions de médiation et d’amplifier l’éducation artistique et culturelle. Je souhaite ainsi qu’on puisse utiliser, en lien avec le Rectorat et en collaboration avec Françoise Buffet, adjointe en charge de l’éducation, la réforme des rythmes scolaires pour affecter le temps libéré à des actions artistiques et culturelles. Il est également impératif de sortir la Culture du centre ville et de ses “temples”, parfois intimidants : je crois à une “Culture hors les murs” qui impose de diversifier les formes. La Symphonie des deux Rives organisée par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg depuis une dizaine d’année en est un bel exemple : elle rassemble, dans un moment de partage, un public nombreux, bien différent de celui du PMC. Pourquoi ne pas bâtir autour d’elle, une Symphonie des Arts sur plusieurs jours où se croiseraient musiques, cinéma, danse, théâtre ou encore conte ?
Aujourd’hui, malgré une offre pléthorique – les fameuses 9 000 manifestations culturelles que vous évoquiez – Strasbourg n’est pas identifié sur la scène internationale, comme par un événement phare. Est-ce votre souhait d’en créer un ? Il n’existe en effet pas de réel événement (comme le Festival d’Avignon), ni d’institution (comme le Musée Guggenheim de Bilbao) qui cristallise l’identité culturelle de Strasbourg, mais je ne crois pas que ce soit indispensable. Souvent ces phares sont des paravents qui cachent derrière eux une densité culturelle bien plus faible le reste du temps. Prenons l’exemple de Nantes et de La Folle Journée : le succès de la manifestation est immense, mais globalement, il se passe moins de choses qu’à Strasbourg. L’enjeu est de mieux faire connaître notre foisonnement culturel à l’extérieur. Cela passe peut-être par une synergie accrue entre les différents acteurs. Nous réfléchissons, par exemple, à la rentrée culturelle : pourquoi ne pas installer une cohérence entre les différents événements – Musica, Journées de l’Architecture, Bibliothèques idéales… – et le début de saison de l’OPS, du l’Opéra national du Rhin ou encore du TJP ? Cela passe peut-être par un fil rouge thématique qui faciliterait la lecture par le public et renforcerait la visibilité et le rayonnement extérieur.
Quels sont les projets culturels emblématiques du mandat ? La politique culturelle est incarnée dans des grands projets, mais ils ne peuvent, ni ne doivent la résumer. Il est également impératif qu’ils soient considérés à la double aune du rayonnement extérieur et de la diffusion à l’intérieur du territoire auprès des publics les plus vastes. À côté de la Coop – une des initiatives emblématiques du mandat en cours – certains projets sont déjà lancés comme la rénovation / extension de l’Opéra sur site – c’est-à-dire sur tout l’espace de la place du Petit-Broglie qui sert aujourd’hui de parking –, bien plus ambitieuse qu’une simple mise aux normes : elle sera inscrite dans le prochain contrat triennal. De nouveaux équipements verront prochainement le jour comme, au printemps, le Shadok dédié aux cultures numériques ou le nouveau Maillon, inauguré à la rentrée 2016. À côté du classement à venir de la Neustadt au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco, un grand chantier à venir de la politique patrimoniale concerne le Palais Rohan : aujourd’hui, le système électrique est dans un piteux état, générant des risques. Il est nécessaire de le rénover en profondeur.
À quelle destinée est vouée la Coop que vous évoquiez, une des dernières friches industrielles de la ville, au Port du Rhin ? Pour le moment, les terrains et les bâtiments appartiennent toujours à l’entreprise : nous sommes en discussion pour que la Ville les rachète. Les négociations achoppent sur le prix, mais je suis confiant. Un accord interviendra. Après, il faudra réfléchir sur la vocation de l’endroit. Des solutions s’esquissent, notamment autour des nuits électroniques de l’Ososphère qui s’y tiennent déjà. Pour moi, le devenir de la Coop est lié à celui de La Laiterie-Artefact. Avec Thierry Danet et quelques autres nous réfléchissons ensemble à cet avenir…
Vous évoquiez La Laiterie. Juste en face, la Friche Laiterie connaît de multiples turbulences. Comment voyez-vous son avenir ? Le site n’a jamais trouvé son identité et n’a pas créé de lien avec son environnement : au départ, était espéré un espace d’effervescence culturelle où les différents acteurs présents sur le site s’irrigueraient mutuellement, une sorte de Belle de Mai ou de Lieu unique version strasbourgeoise. Force est de constater que cela n’a pas marché : aujourd’hui la Friche Laiterie est… en friche, minée par des conflits internes, grevée par un manque de transparence. Il faut repenser l’ensemble du site : c’est ce que je m’efforce de faire, en concertation avec les différents acteurs, depuis quelques mois. Plusieurs options sont sur la table : le Kafteur, menacé dans son existence est à la recherche d’un espace. La nouvelle SMAC Jazz, avec le départ annoncé de Pôle Sud, a également besoin d’une salle. Ce sont des options dont nous allons discuter avec tous les acteurs concernés.