Le temps des pionniers

Photo d'André Muller

La Comédie de l’Est réunit sept théâtres publics du Grand Est le temps d’un festival célébrant les 70 premières années des Centres dramatiques nationaux (CDN). Entretien avec son directeur, Guy Pierre Couleau.

A-t-il été facile de réunir cinq CDN (Comédie de Reims, La Manufacture, NEST, TJP, CDE), le TNS et le Théâtre du Peuple pour fêter cet anniversaire ?

Très facile ! De manière spontanée et immédiate, l’ensemble des directeurs m’a dit oui et pris en charge financièrement une partie de l’événement.

Ce festival célébrant la décentralisation théâtrale arrive au moment où Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au Ministère de la Culture – qui a annoncé une baisse de budget de 50 millions –, a remis en cause à Avignon le modèle économique « à bout de souffle » des CDN et lancé l’idée d’un fonds de soutien au théâtre privé alimenté par le prélèvement d’un euro par siège dans vos théâtres. Une attaque sans précédent…

Clairement ! Je prépare cet anniversaire depuis longtemps sachant pertinemment que 2017, année d’élections, serait celle de la refonte des politiques culturelles. Cet événement ne s’inscrit pas dans le passé mais se tourne vers les 70 prochaines années de la décentralisation qu’il convient de renforcer en étant inventifs, notamment quant au modèle économique nous permettant d’être des théâtres de création. La position de la DGCA à cette réunion de tous les directeurs et directrices de CDN a été stérile puisque même la Ministre a affirmé à l’Assemblée ne pas avoir connaissance du contenu du rapport Bonnell*. La polémique avignonnaise était donc aussi inutile qu’affolante d’amateurisme. Elle associe des contre-vérités loin de la réalité. Il est absurde aujourd’hui de rejouer l’opposition à l’origine même de la création des CDN face aux théâtres privés parisiens.

La Comédie de l’Est, devenue CDN en 2013, est le plus jeune des cinq invités alors même que le Centre dramatique de l’Est (son ancêtre, devenu Théâtre national en 1968 après son déménagement à Strasbourg) était le tout premier en 1947. Une jolie boucle…

Nous sommes les héritiers d’un projet issu des pionniers de 1947 : Jean Dasté (Comédie de Saint-Étienne), Hubert Gignoux (Comédie de l’Ouest) et André Clavé à Colmar. Il faut s’en souvenir pour comprendre où nous souhaitons aller. Il s’agissait à l’époque de reconstruire la France, au sortir de la guerre, par la culture, notamment en Alsace pour réaffirmer son caractère français. Aujourd’hui, notre position est celle de combattre les fractures sociales, les populismes et fanatismes en recréant du lien, du vivre ensemble et de la pensée. Nous sommes en héritage et en responsabilité vis-à-vis de nos prédécesseurs et il convient de les défendre lorsqu’ils sont mis à mal.

Cela passe par le renforcement des liens dans ce réseau de CDN ?

La France dispose d’un maillage unique de théâtres publics sur le territoire. À l’heure des grandes régions, il est possible dans le Grand Est, regroupant 5,5 millions d’habitants, de faire un événement commun initiant une synergie sur des valeurs communes, poétiques et artistiques. Napoléon disait bien de Corneille que « tout théâtre est politique ».

D’une citation l’autre, Vitez prônait « un art élitaire pour tous ». C’est ce que vous défendez encore aujourd’hui ?

Absolument, il faut viser la qualité : être élitaire, à ne pas confondre avec élitiste ! La qualité pour le plus grand nombre, même lorsqu’on joue dans des villages ou des zones rurales, hors des salles équipées. Se battre contre les fractures d’un pays, c’est proposer le meilleur à un prix moyen de 7 euros dans les CDN. Voilà à quoi servent nos subventions, on est loin des sommes exorbitantes du théâtre privé.

C’est aussi l’occasion de rappeler que vos théâtres ne sont pas des tours dorées, mais que vous travaillez en lien avec des écoles, hôpitaux, prisons, associations, quartiers…

Nous éditons un livre intitulé En route vers les publics fin septembre, collectant justement nos actions vers et avec les publics car il nous semble important de montrer la qualité du travail des CDN envers les personnes éloignées : socialement, géographiquement, par le handicap…

La décentralisation est aussi un contrepoids au règne du divertissement et du récréatif…

Il est nécessaire de le réaffirmer : le théâtre d’art est accessible et pas forcément chiant ! Sans bataille de chapelles, il y a du bon théâtre privé comme La Cage aux folles, mais ça ne vaudra jamais le rire profond d’un Labiche qui porte en lui une finesse de regard sur la société… Il ne faut pas avoir peur de l’intellectualisme.

Le festival se déroule en trois temps : œil du passé, du présent et de la pensée. Que nous réservez-vous ?

L’œil du passé est une rétrospective en forme d’exposition sur les premiers pas des CDN et de projection d’un documentaire sur leurs 30 premières années d’existence. L’œil du présent consiste en une carte blanche aux sept directeurs des théâtres participant : des formes courtes et contemporaines, notamment Laurent Poitrenaux, dirigé par Ludovic Lagarde sur Histoire de la littérature récente d’Olivier Cadiot, la recherche du mouvement de Renaud Herbin (La Vie des formes) entre les mots de Célia Houdart et les idées, ou encore Tamara, un texte que je signe autour d’Otto Dix. Le troisième temps du festival, l’œil de la pensée, est le plus difficile à mettre en place car réunir les intervenants sur l’avenir des CDN n’est pas mince affaire. La nouvelle Ministre de la Culture aimerait y être, mais rien n’est sûr…

 

À la Comédie de l’Est (Colmar), du 28 au 30 septembre

comédie-est.com 

 

* Rapport confié à René Bonnell sur l’Association pour le soutien du théâtre privé, une réflexion prospective tant professionnelle qu’économique sur le fonctionnement de ce fonds constitué il y a plus de 50 ans autour des théâtres privés parisiens et des tourneurs privés

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