Le rictus du vieux clown: David Bobee au Théâtre du Peuple

David Bobee © Maxime Stange pour Poly

Invité surprise de l’été Bussenet, le metteur en scène David Bobee crée, au cours de deux résidences, le spectacle du soir de la saison 2009 du Théâtre du Peuple. Un “cabaret poétique” composé d’une succession de numéros où se mélangent comédiens circassiens et comédiens en situation de handicap mental.

Débardeur noir et pantalon en toile, sourire aux lèvres à siroter un café avec une partie de son équipe, David Bobee a adopté le rythme de Bussang, théâtre champêtre à flanc de montagne. Ce metteur en scène contemporain dont les spectacles tournent à plein régime (120 représentations en 2008) avoue avoir « besoin de douceur après toute la violence » de sa dernière création, Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, monté en début d’année à Gennevilliers. Un spectacle inscrit, comme toujours, dans une actualité brûlante (immigration, identité, nationalité…) et des textes forts de Ronan Chéneau, un décor glacial tout en armatures de métal, lourd en logistique. Les deux périodes de résidence de création de Bussang (11 jours en mai, une vingtaine en juillet) tombent à point nommé. David s’y installe avec quelques fidèles comédiens-danseurs-circassiens de sa Compagnie Rictus, mais aussi quatre comédiens handicapés mentaux de la troupe permanente de la Compagnie L’Oiseau-Mouche, avec « le sentiment que d’associer ces professionnels handicapés fait sens dans ce lieu où la frontière entre professionnel et amateur a depuis toujours été questionnée ».

Enfant de la balle, fils du service public
La trentaine tout juste naissante, David Bobee trace son propre chemin depuis déjà dix ans avec sa compagnie. Un noyau dur autour duquel ne cessent d’arriver et de repartir, au gré des projets, divers artistes. Lui est de toute façon « allergique à la famille pour tout ce qu’elle a de sclérosé et de refermé sur elle-même ». Le théâtre, il y est venu par le cinéma et l’image. Adolescent indépendant, il est pris d’affection par des équipes de tournage qui l’embarquent sur diverses productions. Il trace son chemin, suit des études en cinéma et arts du spectacle à l’université de Caen avant d’intégrer le Théâtre-école du Centre Dramatique National de Normandie où il devient assistant metteur en scène puis collaborateur artistique d’Éric Lacascade. « Je m’inscris totalement dans le théâtre public », explique-t-il. « Ma compagnie est née au cœur de l’institution décentralisée, à Caen. Même si on me colle souvent une étiquette de metteur en scène “branchouille”, venir dans un théâtre comme Bussang n’est pour moi qu’une continuité. Ce qui m’anime, c’est l’impact politique du théâtre. Je considère le théâtre comme l’art politique par excellence. La plupart de mes spectacles ont un fond politique et lorsque ce n’est pas le cas, ils se raccrochent, sur la forme, à une idéologie qui est la mienne. Cette forme est populaire, je propose des choses en demandant aux spectateurs d’être actifs, de concevoir un regard critique. Rien de mieux pour cela que le théâtre. La distance critique ramenée dans le champ de la réalité est, à mon sens, le meilleur outil politique pour questionner le monde tel qu’il va ou ne va pas ! »

Gilles de David Bobee © Maxime Stange pour Poly

Intuition et émotion
Sa création, Gilles, naît d’une intuition : « Gilles Defacques est un vieux clown qui a quelque chose de terriblement touchant et émouvant ». Autour de ce personnage errant au bord d’une route, de nuit, David invite ses comédiens à improviser une succession de numéros, autant de visions pouvant être souvenirs, réalité ou images fantasmées d’un vieux clown sénile. Sur scène, une vieille Volvo, un énorme nounours adossé à un lampadaire et un cercueil en bois. Ses spectacles sont toujours monochromes. Ici, le marron et le sépia dominent une esthétique moins froide qu’habituellement. Les répétitions débutent en milieu d’après midi et se terminent tard dans la nuit. Nous arrivons en même temps que Cédric Orain, auteur qui écrira sur place les textes du spectacle. « Nous n’en sommes qu’au stade des improvisations », prévient David Bobee. « Le rapport au texte est encore très fragile mais c’est important d’essayer que les choses naissent du plateau. En acceptant qu’il y ait des propositions d’improvisations hyper fortes et d’autres très faibles. On se laisse ainsi la possibilité de découvrir des perles. »

Gilles de David Bobee © Maxime Stange pour Poly

Improvisation et création
L’équipe prend place, petit à petit, dans la salle. Caroline, actrice handicapée, est déjà sur scène, s’éclatant avec une guitare blanche, rockant un “David Bobee” à tue-tête pendant que la contorsionniste du groupe, Elsa, termine son échauffement avant d’inaugurer les improvisations du jour. Le noir total se fait, brisé par deux spots de lumière symbolisant les phares d’une voiture. Elsa évolue au ralenti en une succession de postures inversées, à même la terre qui jonche le sol. Dans la fumée brumeuse qui l’entoure, l’éclairage offre des images fortes, jeu d’ombres et de lumière sur fond de crissement de pneus et de bruits d’accidents étourdissants. Avant un second passage où David invite Caroline à rejoindre Elsa « tout en douceur, en prenant son temps », il rectifie les trajets des spots de lumière, maniés à la main par deux techniciens. Un metteur en scène très actif sans être dirigiste.

Gilles est le suivant sur scène. En peignoir, les cheveux décoiffés, il se demande à voix haute ce qu’il fait ici, drôle à son insu. Buttant sur les aspérités du sol, il s’énerve de manière répétitive : « C’est quoi ce genou qui marche pas ». David lui envoie le reste de la troupe, par vagues. S’improvise un jeu sur scène où Gilles se fait chicaner. Le metteur en scène hausse le ton, leur demande « de chercher, de jouer sur des modules de temps, d’actions, d’intensité ». Over the rainbow retentit, la terre vole, les chamailleries s’organisent. David stoppe le tout, recadre et les focalise sur Gilles et son « On est où là ? ». Ils reprennent, un canon naît en forme de répétitions et de pastiches des gestes et paroles du clown. L’un d’entre eux initie une chorégraphie, tout le monde la suit en miroir. Ainsi s’esquissent les contours du portrait poétique d’un vieil homme, clown perdu dans les méandres de son esprit et de ses tours.

Gilles, du 5 au 29 août
03 29 61 50 48 – www.theatredupeuple.com

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