Le pouvoir en partage

À quelques semaines de la mi-mandat, le Sénateur-maire de Strasbourg Roland Ries revient sur les grands projets de la municipalité et sur sa politique culturelle. Entretien.

Depuis le début de votre mandat, vous avez érigé la démocratie locale comme mode de gouvernance (forums, Assises de la culture, du sport…). Quelles en sont les réussites et les limites ?
J’avais en effet axé une bonne partie de la campagne sur la question de la participation citoyenne, parce qu’existait un désaccord fort avec nos prédécesseurs sur une certaine conception du fonctionnement démocratique et, plus particulièrement, sur la préparation de la décision publique à laquelle les électeurs d’aujourd’hui souhaitent être associés. La seule limite à cette participation démocratique est la décision finale. Il faut bien, après avoir fait des concertations, pris l’avis du Conseil de quartier, demandé la tenue d’un atelier de projet et collationné demandes, critiques et suggestions éventuelles, qu’il y ait une instance décisionnaire, sinon on s’enlise dans la “non décision” qui est la pire des choses. Prenons le cas des Haras : le Conseil de quartier avait dit que notre projet de biocluster ne lui convenait pas et m’avait invité. Je suis allé expliquer à ses membres, non pas qu’ils s’étaient trompés dans leur avis – réintroduire des chevaux – qui était parfaitement légitime, mais pourquoi je ne le suivrai pas.

En 2008, vous parliez de « l’urgence de l’investissement dans les équipements de proximité » que vous opposiez aux grands travaux lancés par la mandature précédente. Est-ce qu’aujourd’hui vos projets de tour sur la presqu’île Malraux, de refonte du PMC ou de création du quartier international d’affaires au Wacken ne sont pas en contradiction avec cela ?
Je n’opposais pas les grands projets et ceux de la quotidienneté, logements, équipements de quartier, crèches… Je disais que nos prédécesseurs avaient lourdement investi dans des grands projets et qu’il fallait maintenant réorienter les choses en direction de la vie quotidienne, pas que nous n’en ferions plus. Malraux et le projet de tour dont on a beaucoup parlé en est un. Pas un projet de mandature, mais sur dix ou quinze ans, rapprochant la cité du Rhin, pour remplir, si je puis dire, le vide urbain entre Strasbourg et Kehl. L’idée est de faire un deuxième cœur d’agglomération transfrontalière avec les 350 hectares de foncier disponibles, quasiment en cœur de ville.

Roland Ries, maire de Strasbourg, dans les locaux de la Communauté urbaine de Strasbourg © Pascal Bastien

On a l’impression que l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau peine à exister, que la volonté politique est là mais que les Strasbourgeois ont du mal à s’en emparer ?
C’est exact. C’était une des raisons pour lesquelles j’avais imaginé, à une certaine époque, un référendum pour y associer les citoyens de part et d’autre du Rhin. Les Allemands n’en ont pas voulu. Nous nous sommes alors orientés vers une consultation sur Internet. Je reconnais qu’il est difficile de travailler ensemble, parce que nos systèmes politico-administratifs sont très différents l’un de l’autre. Notre ambition est d’aller au-delà d’une simple collaboration transfrontalière comme elle se pratique un peu partout. L’idée que j’avais évoquée dans le programme municipal de 2008 était de se diriger vers des formes de codécision en amont. C’est ce qui est fait sur la zone entre le Heiritz et Kehl. Idem sur le tram. Bien sûr, c’est moins spectaculaire et plus lent que de faire des projets plus précis, même si on en a aussi réalisés en cofinançant, par exemple, le Hall d’Athlétisme d’Offenbourg.

D’où provient alors cette méconnaissance ? D’un déficit de communication ?
Je pense que l’Eurodistrict n’existe pas suffisamment dans la conscience collective, des deux côtés du Rhin. Les gens ne savent pas très bien à quoi il correspond. L’Ortenau c’est quoi ? Une équipe de foot ? Mais on y travaille. Après avoir constitué une équipe, les choses se sont mises en place juridiquement. Il faut maintenant injecter du contenu pour faire exister l’ensemble.

Strasbourg a un rôle européen. Pensez-vous qu’il est aujourd’hui bien établi ?
Je ne suis pas un rêveur, on ne va pas demain transférer ici la Commission européenne, les agences réparties un peu partout… On ne fera pas ce que j’avais évoqué pendant la campagne municipale, un « Washington DC sur le Rhin » ! Je parlais d’un territoire européen au statut juridique et fiscal particulier. Je n’ai néanmoins pas perdu cet objectif de vue, mais ça ne se fait pas comme ça, surtout avec les pesanteurs françaises. Pour ce qui concerne plus spécifiquement les activités du Parlement, je souhaite qu’elles aient lieu dans une seule ville au lieu de trois aujourd’hui : Strasbourg. J’aimerais qu’une partie de son administration, répartie entre Luxembourg et Bruxelles, vienne ici où se trouvent très peu de fonctionnaires permanents. Je crois qu’on a trop longtemps été sur des positions défensives en privilégiant à l’excès les questions d’infrastructures d’accès, notamment aériennes. Il faut se poser la question de la spécificité strasbourgeoise par rapport aux autres villes qui se réclament de l’Europe et réenraciner notre identité européenne. Il faut imaginer ici l’Europe des peuples, celle des droits de l’Homme et de la démocratie locale. Il nous incombe de développer ce champ de réflexion politique.

Vous avez consulté largement avec les Assises de la culture (débats, ateliers…) et abouti, en novembre 2009, à une restitution-bilan. Nous sommes un peu plus d’un an après, quels en sont les effets concrets aujourd’hui ?
Strasbourg consacre une part importante de son budget à la culture, près du quart, et propose une offre diversifiée et riche de plus de 9 000 manifestations. J’avais dit, durant la campagne, qu’on n’allait pas pouvoir continuer à sédimenter, à passer de 25% à 30%. Il faut réfléchir à ce qui continue d’être pertinent, à avoir du public, à être créatif, ou, au contraire, à ce qui est un peu archaïque. Dès que vous touchez à l’existant, vous touchez à des acquis… Il existe un public pour toutes les manifestations. Prenez le Festival de musique de Strasbourg qui répond aux attentes d’un segment de la population. Est-ce qu’il faut continuer ? Le réorienter ? Lui donner une seconde jeunesse comme Robert Grossmann avait essayé de le faire en y adjoignant le Concours de chant Barbara Hendricks ? Il n’a pas changé la manifestation mais  simplement ajouté un appendice qui était déficitaire… et donc du déficit au déficit. J’ai pour ma part une idée différente, qui rejoint mon projet de 2008 : le fameux grand événement culturel de l’été qui devait drainer, comme le Marché de Noël, un public venu de l’Europe entière.

Roland Ries, maire de Strasbourg, dans les locaux de la Communauté urbaine de Strasbourg © Pascal Bastien

Mais Strasbourg a-t-il besoin d’un festival de plus alors qu’il a déjà sept festivals d’envergure européenne (Les Nuits de l’Ososphère, Musica, Jazzdor, Les Giboulées de la marionnette, les Artefacts, Festival Nouvelles, Premières) ?
Est-ce qu’il est en effet raisonnable de créer un festival estival de plus alors qu’il sont déjà très nombreux en France ? À la réflexion, on s’est dit que nous avions une diversité d’offre, notamment en matière musicale, dans les festivals existants. L’idée ne serait-elle pas d’en réunir certains au mois de septembre et de faire jouer les synergies entre Musica, le Festival de musique, Jazzdor… ? Certains évoquent pour nom “Les Équinoxes musicales de Strasbourg”. Rassembler, faire de l’interdisciplinarité et le faire savoir. Cela coûtera un peu plus cher, mais c’est sans commune mesure avec la création d’un nouveau festival.

Quel en serait le calendrier ?
L’idée serait de commencer dès 2011 si on peut. Je suis très favorable à des expérimentations progressives. Plutôt que de faire une usine à gaz qui coûte des sommes importantes, essayer, dès cette année, de coupler des festivals aux publics différents.

Peut-on revenir sur la question des Assises ? Quelles en sont les conséquences concrètes, un an après la restitution ?
Une réunion sur le bilan des Assises est prévue au mois de février. J’ai fixé des objectifs et orientations que l’on décline, petit à petit, secteur par secteur, y compris sur le grand événement. Alors c’est vrai que nous avons pris un peu de retard parce que les orientations que j’avais fixées étaient générales et qu’il fallait les décliner plus précisément.

Vous aviez promis durant la campagne la construction d’un nouvel Opéra. On sait que l’Opéra national du Rhin n’est plus aux normes et que sa fosse est trop petite. La Préfecture du Bas-Rhin a en outre délivré une injonction de mise aux normes de 400 000 euros. Où en est le dossier ?
Vous savez tout ! Le contexte financier est difficile pour toutes les collectivités. Sur les deux objectifs que nous nous étions fixés pour l’Opéra, on ne pourra dans l’immédiat en satisfaire qu’un. D’abord, faire en sorte que le théâtre à l’italienne, tel qu’il existe, puisse accueillir le public en toute sécurité. Ce qui n’est pas encore le cas ! Pour le second objectif – un nouvel opéra – il faudra un peu attendre, parce que nous n’avons pas aujourd’hui la capacité financière pour le réaliser.

Le projet Icade pour la presqu’île Malraux prévoit la création d’ateliers pour artistes. Or, durant les Assises de la culture, est ressorti un manque de lieux d’exposition. Est-ce vraiment la bonne voie ?
Une des raisons qui m’a fait choisir le groupe Icade plutôt que le groupe Bouygues, c’est justement sa dimension culturelle. Nous avons eu l’impression qu’elle était intégrée dans le projet dans un cas, alors qu’elle était surajoutée au projet immobilier dans l’autre. Cette dimension culturelle, avec des ateliers et un lieu d’exposition dans le silo allongé, a été déterminante car je pense qu’il faut arriver à faire vivre ce morceau de ville, si possible 24 heures sur 24. Impossible avec de la mono-fonctionnalité : uniquement des bureaux, des appartements ou des équipements publics. La Médiathèque ferme à 19h. Il faudra bien un jour aller au-delà des horaires actuels. En tout cas l’idée est d’avoir une diversité de fonctions sur ce secteur qui fasse de l’humanité au-delà des bâtiments. Ça passe par une répartition des activités qui occupent l’ensemble de la journée et une partie de la nuit.

On a aussi beaucoup parlé des Bains municipaux avec la peur de les voir transformés en spa de luxe. Où en êtes-vous de la réflexion sur le sujet ?
L’idée était de changer la vocation et la gestion de l’équipement. Aujourd’hui, compte tenu du débat public, on n’est plus sur la même orientation. Nous souhaitons faire, à la fois un équipement à destination des publics qui l’utilisent aujourd’hui, y compris ceux n’ayant pas beaucoup d’argent, et, dans le même bâtiment, quelque chose de plus ludique avec un partenariat public / privé, si possible au niveau de l’investissement et de la gestion. J’ai bien enregistré le message des gens qui y sont attachés et ai donc réorienté le projet de départ dans cet équilibre-là. On devrait assez rapidement représenter un projet.

Autre débat vigoureux, le Palais des fêtes. Son devenir n’est pas encore fixé et un nouveau projet est porté par un restaurateur de la ville…
J’ai donné un peu de temps supplémentaire par rapport au projet présenté au Conseil municipal, en raison notamment de la focalisation sur le hammam pour femme avec la crainte qu’on fasse un équipement à caractère ethnique et des choses de ce genre. Car il y avait, quand même, dans toutes ces critiques un arrière-plan communautariste. L’idée était qu’il y avait déjà eu plusieurs tentatives pour ressusciter, à cet endroit, un restaurant. Toutes ont fait faillite… Franck Meunier a l’air d’y croire et si j’ai bien compris propose que le hammam – 300 m2 dans un espace de plusieurs milliers – soit en sous-sol. Pourquoi pas… Nous allons regarder, techniquement, et prendre une décision rapidement.

Pour terminer, est-ce que l’idée d’un second mandat fait son chemin ? Qu’est-ce qui vous inciterait à retourner devant les électeurs ?
Ce qui me pousserait, le moment venu, est l’importance des projets que j’essaie de mettre en valeur, car ce n’est pas à l’intérieur d’une mandature qu’on les accomplit. Une équipe les porte et si elle estime que je suis le mieux placé pour continuer ce travail, je pense que je serai prêt à le faire. Mais je ne suis pas dans l’idée d’absolument continuer. Peut-être que d’autres pourront le faire aussi bien, voire mieux que moi. Je n’estime pas être indispensable, mais si Roland Ries peut encore servir…

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