Instruire & plaire

Photo de Laura Sifi pour Poly

« Ne dites surtout pas que je suis casse-pieds dans votre article », nous lance Paul-François Lang. Oups, désolé… Rencontre avec ce très pointilleux dix-neuvièmiste, BCBG d’un autre temps et nouveau directeur surbooké des dix Musées de la Ville de Strasbourg.

Nous ne l’avions encore jamais rencontré, mais le nouveau directeur des Musées, assis dans son vaste bureau du Palais Rohan, a déjà un avis tranché sur la rédaction du magazine Poly : « Vous avez la réputation d’égratigner tout en évitant les gros coups de massue », nous lance-t-il, méfiant, mais souriant. Nous acceptons le “compliment” de cet homme d’une élégance au charmant anachronisme. La discussion est très vite redirigée vers les Musées strasbourgeois, lorsque nous évoquons la sensibilisation aux Arts plastiques pour les plus jeunes. « Nous sommes précurseurs ici. Le service pédagogique est très performant ! Je dis ça alors que je viens du Canada qui l’a inventé… » Celui qui succède à Joëlle Pijaudier-Cabot fut en effet conservateur en chef à la National Gallery of Canada d’Ottawa, après avoir œuvré au Musée d’art et d’histoire de Genève.

Remède à la mélancolie
Entre bourgeois chabrolien et homme “éclairé” du siècle des Lumières peint par Goya, Paul-François Lang est « né dans le Sundgau et a passé son Bac à Saint-Louis en 1977. De double nationalité suisse et française, j’ai construit ma culture visuelle entre les musées bâlois et strasbourgeois, et suis resté dèle au tableau Musiciens et soldats (1626) des Beaux-Arts de Strasbourg. Je pense qu’on peut faire le choix de devenir historien de l’Art à cause d’un unique tableau ! » Cette toile toute en clair-obscur du caravagesque Valentin de Boulogne continue de l’habiter, « davantage que La Belle Strasbourgeoise, pour la présence de la musique, de l’Antiquité et de la mélancolie. À présent que j’ai le privilège de vivre à proximité de ce tableau d’une grande intériorité, j’essaye de lui rendre visite au moins une fois par semaine. J’ai un réel attachement à Strasbourg où j’ai vu mon premier Lac des Cygnes et ma première Messe en Si de Bach ! » Et Gustave Doré, un de ses chouchous ? « C’est le peintre qui incarne le mieux le XIXe siècle dans toute sa complexité, son fantasme. Doré doute par rapport à sa carrière et hésite dans sa recherche de style : il représente cette génération perdue typique de son époque, bien plus que Delacroix ! » Cette (immense) toile n’est pas exposée dans la capitale alsacienne, mais PFL ne peut pas citer un autre chef- d’œuvre du XIXe qui l’a longtemps suivi : Le Radeau de la Méduse de Géricault qui le « fascine car il s’agit d’une peinture d’Histoire désespérée et je suis passionné par l’Histoire. Face au Radeau, vers mes dix ans, une femme s’est approchée en disant “Avec ce tableau, le siècle des Lumières c’est terminé ! Bien plus tard, j’ai pris la mesure de la justesse de cette remarque. »

Valentin de Boullongne, Musiciens et soldats, © Musées de Strasbourg, M. Bertola

Décloisonner
Alors que nous lui faisons part de notre étonnement pour son goût “grandécartesque” allant du très hollywoodien Christ quittant le prétoire de Doré au sinistrement réaliste Radeau de Géricault, il réplique : « Comme directeur des Musées, je me dois de défendre l’équité. Je vais d’ailleurs me garder de faire de l’ingérence scientifique. Les conservateurs strasbourgeois sont des gens précieux, connus internationalement, et je leur fais une entière confiance. Tant que je serais à cette place, toutes les expositions rendront le patrimoine strasbourgeois intelligible au plus grand nombre. Je parle des collections des Musées comme du Mausolée du Maréchal de Saxe (1776) conçu pour l’église Saint-Thomas, sculpté par Jean-Baptiste Pigalle auquel nous allons dédier une exposition. »
Autre axe de réflexion : « Les publics, et pas seulement celui qui nous est déjà conquis. Travailler dans un musée, consiste à se confronter à des enjeux de civilisation, des questions de transmission. Les nouvelles générations ont un rapport différent de l’image. Le numérique a une fonction incitative et non de substitution ! » Chaque expo majeure sera pilotée par un des dix musées, mais les neuf autres devront, dans la mesure du possible, « entrer dans une logique de résonance au projet. Pour Pigalle, par exemple, j’ai demandé à Estelle Pietrzyk du MAMCS de ré échir à la permanence d’un Art funéraire au XXe et XXIe siècle ou même à Marie-Dominique Wandhammer du Musée zoologique de prendre la mesure du réalisme du bestiaire : l’ours, le lion et l’aigle qui symbolisent les monarchies terrassées par le génie militaire du Maréchal. » Le nouveau directeur s’apprête à dépoussiérer Pigalle, soit. Mais aussi à donner un grand coup de pied dans la fourmilière en s’attaquant à des sujets de société graves « et encore jamais traités » comme la présence du Sida dans l’Art contemporain de 1980 à nos jours. Les autres institutions seront bien sûr mises à contribution. L’Œuvre-Notre-Dame par exemple illustrera les manières dont des maladies « honteuses et infamantes » comme la lèpre ou la peste ont été traduites iconographiquement. « De manière visible ou masquée, le Sida hante notre époque, qu’il s’agisse de pièces de Jeff Wall ou du collectif General Idea, c’est un spectre qui infuse l’Histoire de l’Art récente, qui “parasite” la création contemporaine. »

 


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