L’émotif anonyme

Au moment de fouler les planches du festival Supersounds et de sortir son second album celui qui rêvait de se rendre invisible est placé sous tous les spotlights. Entretien avec un Cascadeur messin faisant faire des pirouettes à la pop qu’il conçoit comme atmosphérique et sensible. Bas les masques !

Votre père, ancien directeur des Beaux-Arts de Metz, a-t-il joué un rôle dans votre construction et celle de votre personnage ?
Enfant, nous vivions au-dessus d’une école d’art. C’était mon terrain de jeu : je faisais du skate dans les couloirs et je me déguisais pour aller voir les étudiants. Lorsque je jouais du piano, on m’entendait par les tuyaux du chauffage : j’étais déjà en condition de scène car la pièce avait des oreilles. J’ai eu un soutien important et ça continue, mes parents suivent ma carrière, ils viennent assister à mes concerts. Je dois presque les freiner. J’aimerais vivre ça avec mes propres enfants.

Difficile de ne pas évoquer votre casque de pilote de chasse qui fait forcément songer à Daft Punk : coquetterie ou envie de garder votre anonymat ?
Avant eux, il y a eu Residents, Space… En me nommant Cascadeur, je ne pensais pas du tout à Daft Punk, même si l’exploration de l’anonymat par la musique électronique me plait beaucoup. J’avais envie de puiser dans l’histoire et étais plus intéressé par l’Antiquité et cette tradition du masque. Ensuite, quand je tournais avec Fugu, Variety Lab ou Orwell1, j’étais un homme de l’ombre et j’avais envie de continuer à l’être. Si on connaît mon histoire, on sait qu’il ne s’agit pas d’une coquetterie ou d’une astuce marketing. J’ai d’abord mis un casque par confort personnel, pour faire des concerts sous mon patronyme et échapper à une pression que je me mettais par rapport aux émotions que je ressentais en chantant.

Considérez-vous la pop comme une zone à risques ?
Au début, j’étais le représentant de commerce des produits que je fabriquais. Ça n’est pas évident de composer des morceaux puis de se confronter, sans protection, à la dure réalité d’un système marchand et industriel qui n’est pas toujours dans l’émotion et la sensibilité. C’était douloureux et périlleux. Ça n’est pas parce qu’on est masqué qu’on ne reçoit pas les projectiles.

Votre nouvel album semble plus ample que le premier. Il s’ouvre sur un grand Casino, proche de Mercury Rev, comme une respiration…
Mon premier disque a été composé durant une tournée pour des raisons de planning. C’était épuisant et intéressant car je mettais dans mes morceaux ce que je vivais alors. Il y était question de personnes qui partaient et étaient en recherche d’identité. J’ai eu davantage de temps pour agencer le second, pour respirer. Sur Ghost Surfer, les grands espaces sont davantage explorés, je m’autorise plus de choses. Il y a du souffle.

Et beaucoup d’invités : Stuart A. Staples de Tindersticks, le pianiste Tigran Hamayan ou encore Christophe. C’est un luxe que vous avez pu vous offrir ?
Il y a un peu de rêve d’enfant qui est de toucher l’intouchable. J’ai pu accéder à des gens qui sont dans mon panthéon. Ces artistes rejoignent mon parcours musical : le monde classique avec la soprano Anne-Catherine Gillet, le jazz avec Médéric Collignon ou encore Tigran qui prend ma place au piano sur Ladyday. Je me retire pour servir le propos d’un morceau qui parle d’une personne imitant Billie Holiday et qui essaye d’exister dans l’imitation. Sur ce titre, je me fais doubler moi-même par un musicien bien plus valeureux : le plus grand pianiste actuel prend mon identité. C’est une forme de cascade… Christophe est également une doublure qui me remplace au chant sur Collector, tout comme Stuart dans la dernière partie de The Crossing.

Vous estimez en apprendre souvent bien plus sur les journalistes que sur votre propre projet, lors des interviews…
À partir des questions, révélatrices de celui qui les pose, je constitue un portrait robot, un peu comme un profiler. Chez vous, je ressens une grande qualité d’écoute : c’est important dans ces dialogues, ces moments tels que nous en vivons là. Pour moi, la musique est parfois un prétexte à des rencontres, des échanges… C’est un moyen de se faire entendre.

À Audincourt, au Moloco, jeudi 14 novembre
03 81 30 78 30 – www.lemoloco.com

À Colmar, au Grillen, samedi 16 novembre, dans le cadre du festival Supersounds – www.hiero.fr

À Esch sur Alzette (Luxembourg), à la Rockhal, jeudi 13 février 2014
+352 24 55 51 – www.rockhal.lu

À Nancy, à L’Autre Canal, vendredi 14 février 2014
03 83 38 44 88 – www.lautrecanalnancy.fr

Ghost Surfer, édité par Casablanca Records (sortie le 3 février 2014)
www.casablanca-music.com

sous le soleil de satàn
Le rock lo-fi dépouillé et percutant de Schwervon!, duo made in USA. La transe frénétique d’Electric Electric. Les mauvaises graines bordelaises de J.C. Satàn et leur garage crados. Télédétente et son punk saccadé et saccagé. Les lives de Pharmakon, entre expériences noisy et performances mystico-flippantes. La musique mathématique et épique de 100% Chevalier. Le melting-pot DIY de The Ex. Et cætera, et cætera… Cette édition de Supersounds est particulièrement borderline, mêlant sons bruts et mélodies en sous-sol, rock frondeur et attitude destroy.
Festival Supersounds, à Colmar (Grillen…), Freibourg (Räng Teng Teng) et à Strasbourg (L’Auditorium du MAMCS, le Troc’afé), jusqu’au 28 novembre
www.hiero.fr
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