The neverending story

Rendez-vous avec les paysagistes de l’agence DIGITALEpaysage, à Strasbourg, sur la place d’Austerlitz qu’ils ont totalement réinventée. Un carrefour, un espace de transition, une micro-géographie faite d’îlots qui nous racontent une histoire. Des histoires…

Des retraités assis sur un banc face à La Ville de Bâle, des gens attablés à la terrasse d’un des nombreux cafés, des amateurs de photographie quittant la galerie La Chambre, des gamins tournoyant à vélo, des passants pressés et des badauds admirant la palette végétale s’étoffant : cette place située dans le quartier de la Krutenau, marquant le seuil entre la ville historique et le Strasbourg moderne, est en permanente ébullition. Même en cette maussade fin de journée… Pari gagné pour les deux têtes pensantes de l’agence[1. DIGITALEpaysage se compose de quatre personnes : Agnès Daval (paysagiste-conceptrice / plasticienne issue des Arts déco), Bruno Steiner (architecte-paysagiste / urbaniste) et deux infographistes, Delphine Dumet et Amandine Balandier], Agnès Daval et Bruno Steiner, paysagistes “habilités”, ayant des parcours atypiques, sans doute « plustransversaux » que ceux sortis du « sérail » des écoles de paysage. D’où, peut-être, cette attention particulière portée à d’autres champs, les arts plastiques notamment [2. Pour le Jardin de Guingot à Bitche, par exemple, DIGITALEpaysage a fait intervenir le plasticien Philippe Lepeut].

Empreintes paysagères

DIGITALEpaysage est responsable d’aménagements urbains (la place de la gare de Chalon-sur-Saône), de restructurations d’espaces publics (la piscine du Wacken à Strasbourg) ou de jardins historiques (les Terrasses gourmandes de Wesserling). Son intervention pour la place d’Austerlitz est une réalisation phare, « une belle aventure, un sujet magnifique », selon Bruno Steiner, évoquant un projet ayant « des enjeux urbains et politiques », car réinventant l’exercice de la place en posant la question « de la nature en ville, de la biodiversité et du vivre ensemble ». Cet ancien no man’s land difficilement identifiable, lieu hybride (il y a à peine quelques années, les cars de touristes s’y garaient) et peu accueillant situé sur une ancienne porte de la ville, s’est transformé en beau « terrain d’écriture », de jeu, dédié au mouvement, répondant à des usages pluriels. Agnès Daval : « Nous ne voulions pas donner cet emplacement aux riverains uniquement, en faire un simple square. L’idée était au contraire de mêler les publics. Il y a une richesse d’ambiances qui génère des croisements de flux et des utilisations se superposant. » Et de parler d’un « point d’articulation » avec du mobilier urbain et un portique, mémoire des anciens remparts de la cité et, côté ville moderne, le domaine jardiné, des jets d’eau (un coin de fraîcheur en un lieu très exposé au soleil) ou encore les fameuses bosses (créés par les designers de V8[3. Lire article sur V8 dans Poly n°135]), très prisées par les cyclistes en herbe et autres casse-cous à trottinette. Tous ces éléments s’inscrivent dans des cercles, « des planètes » qui s’organisent sur un plan dont le dessin fut dicté par les flux humains : autour des axes de circulation ont pu s’installer des « bulles d’air » en forme de « niches écologiques »[4. Pour une surface totale de 10 000 m2 environ, 2 600 sont dédiés aux plantations] circulaires où l’on trouve des arbres et arbustes très utiles pour loger les oiseaux (sureaux, pommiers sauvages, rosiers rugueux…), des plantes odorantes (thym, sauge, origan ou menthe) ou des fleurs des champs (marguerites, myosotis, silènes…).

Un système stellaire

Vue du ciel, la place d’Austerlitz[5. La place d’Austerlitz a permis à la Communauté urbaine de Strasbourg d’obtenir le second prix aux Victoires du Paysage 2012, catégorie Collectivités – Espace public urbain – www.lesvictoiresdupaysage.com] ressemble à une constellation qui nous plonge dans l’univers enfantin et enchanté du Petit Prince (le soir, l’éclairage « surjoue » l’aspect fabuleux du site). Pour Agnès Daval, « le paysage est un art qui emprunte aux autres : à la peinture dans la composition, à l’architecture dans la structuration de l’espace et à la littérature car nos projets racontent des histoires. » La place est, selon Bruno Steiner, « une métaphore ouverte, une portée où sont posées des notes de nature ». Résultant d’une vision globale et d’études précises (du sous-sol à moins trois mètres aux conditions météo, tous les paramètres sont pris en compte), leur projet5 n’en est pas moins poétique et convoque l’imaginaire.

Le duo travaille toujours à partir d’images ou collages. Ainsi, il va s’inspirer de peintures de Dürer pour le cloître de Neumünster à Luxembourg ou, pour le Campus strasbourgeois sur lequel il planche actuellement, se référer au passé du site, l’Esplanade ayant été construite sur des marécages. Le tandem aborde des sujets différents et s’attaque à des échelles très diverses, « du micro jardin, comme celui de la cour de la Drac Alsace, évoquant le conte du haricot magique géant, au grand territoire, par exemple celui faisant plusieurs hectares au Nord de l’agglomération bâloise. » Pour cette étude[6. Réalisée dans le cadre de l’IBA Basel 2020 – www.iba-basel.net] de planification urbaine et paysagère, DIGITALEpaysage réfléchit à une manière de requalifier une région où sont implantées de nombreuses gravières. L’idée ? Créer une longue piste cyclable (répondant aux pistes de décollage de l’aéroport, à proximité) qui traverse une mosaïque naturelle, mémoire géographique du site, en faisant un clin d’œil au Land Art. Ici encore, le duo suit un scénario nourri de références culturelles. « Nous avons une relation importante au narratifComme dans les films de Godard, nous nous parlons à coups de livre », concluent-ils.

DIGITALEpaysage,

39 rue de l’école à Imbsheim – 03 88 71 37 68

www.digitalepaysage.com

vous pourriez aussi aimer