De Sang Froid, La Fusillade de Simon Diard

Photo de Christophe Raynaud de Lage

Étrange pièce de Simon Diard, La Fusillade sur une plage d’Allemagne montée par Marc Lainé nous entraîne dans l’intimité de la violence, entre cauchemar éveillé et trouble de la réalité, fantasme et difficulté du passage à l’acte.

Le texte mêle une situation très concrète – cinq personnages au bord d’une fosse en pleine forêt – et évocation de personnes fictives : une famille en vacances sur une plage (moment parfait menacé par la disparition d’un enfant ou encore un rêve de parricide du père) mais aussi récit d’un jeune ado projetant un meurtre de masse au 9 mm. Assez complexe à suivre…
En tant que lecteur, c’est fascinant car à la fois d’une grande évidence avec une belle fluidité des récits que vous évoquez dans la première partie, avant de revenir à la situation initiale dans la seconde. La mise en tension est étonnante. Les fictions sont comme une série de postulats inquiétants qui ont réveillé en moi un imaginaire cinématographique et qui fait écho aux tragiques faits divers de l’actualité. Il m’importait qu’on n’oublie pas la forêt et cette fosse, sans empêcher le spectateur d’y superposer les paysages évoqués.

Il y a très peu de dialogues dans ce texte, les personnages ne parlent pas d’eux-mêmes mais d’autres. Ce sont leurs projections mentales ?
Tout doit rester très concret. Simon Diard propose des théâtralités très diverses : les évocations imaginaires sont une manière pour ces personnages de dialoguer, des échanges entre personnes ayant décidé d’arrêter un jeune homme qu’ils suspectent de vouloir commettre un meurtre de masse. Il est au fond d’une fosse et eux autour, mais tout cela est livré avec beaucoup de poésie et de détours.

Vous êtes scénographe et metteur en scène, avez-vous été tentés par le recours à l’image, photo ou vidéo, pour figurer ces ailleurs dont ils parlent ?
D’habitude je monte mes propres textes, j’ai donc cherché à respecter les propositions de l’auteur. Il est question en permanence d’écrans, de surfaces de projection comme le gouffre de la fosse par exemple. Mais avec ces nombreux personnages fictifs à imaginer, je ne voulais pas nuire à l’écoute et me substituer aux représentations mentales du spectateur. La première partie se livre en adresse directe et frontale favorisant l’écoute et l’inquiétude. La seconde fait la part belle à la vidéo avec un caméraman filmant les personnages depuis la fosse, comme du point de vue subjectif du jeune homme qu’ils y ont plongé. On suit au plus près la description de ce qu’ils voient et imaginent de lui. Cela fait vibrer les potentialités de la fiction imaginée par Simon Diard.

Photo de Christophe Raynaud de Lage

Vous êtes touché par le trouble entre réalité et fiction ? La culpabilité à venir ou la difficulté à se décider – tuer ou pas le jeune homme – marqué par l’étirement des paroles dans la deuxième partie ?
Les secondes s’étirent en effet, entretenant une confusion entre réalité et fiction : chez Werner, le père de famille qui rêve tous les soirs d’une guérilla urbaine l’obligeant à tuer sa femme et ses enfants, comme pour le jeune homme dont on ne saura jamais si la tuerie a eu lieu ou si c’est un fantasme. Je suis très sensible à cette question des ados tueurs, comme ceux de Columbine : leur pulsion de mise à mort devient la possibilité d’un accomplissement. Ils attendent une révélation par le passage à l’acte, ce à quoi Simon Diard oppose une réponse claire : au bout de la bobine, il n’y a rien, le désert. Les personnages de la pièce se racontent des fictions pour nourrir leur décision, même si c’est fantasmatique, cela révèle quelque chose de contemporain. Nous sommes coincés dans des fictions paranoïaques naissant de la multiplicité des représentations de la violence comme des récents passages à l’acte terroristes.

S’exprime aussi un fantasme de puissance et de contrôle…
Exactement, comme les deux gamins de Columbine dans leurs journaux intimes qui mélangeaient des concepts philosophiques qui les dépassaient pour nourrir leurs justifications. La force de ce texte est que tout passe par les mots.

Sont aussi évoquées les terreurs intimes : Eckbert, cet enfant de 7 ans n’arrivant pas à venir au secours de son frère aîné ayant disparu en mer, qui, terrifié, se noie intérieurement…
Simon Diard met en place des récits parallèles qui se répondent en écho. La noyade est aussi une analogie de ce que doit ressentir le jeune homme dans la tombe qu’ils ont creusé pour lui. Mais on peut aussi avoir ce sentiment en tant que spectateur. Ce texte est très court et complexe avec des résonances d’une richesse inouïe.

Que vous raconte la pirouette finale avec la reprise d’un extrait de morceau des Beatles issu de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ?

C’est presque ironique, d’ailleurs j’utilise dès le début la ritournelle « A splendid Time is guaranteed for all » qui revient dans la pièce et qui est dans la chanson comme une moquerie cruelle du groupe. Les Beatles étaient en pleine période psychédélique et j’y vois une idée de la drogue, comme si ces personnages qui ont à peu près l’âge de leur victime, se faisaient un trip, possédés par ce qu’ils racontent. Ils ont besoin d’un rituel pour trouver la force de passer à l’acte.

 Au Théâtre national de Strasbourg, du 14 au 23 février
tns.fr
> Rencontre avec l’équipe du Théâtre Ouvert, notamment ses fondateurs Lucien et Micheline Attoun, samedi 17 février à 17h et lundi 19 février à 19h au TNS (Salle de Peinture)
 

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