Se souvenir de l’avenir

Photo de Tristan Jeanne Valès

Porté par un humour acéré et une répartie acerbe, l’auteure et metteuse en scène Pauline Sales fait un état des lieux de quarantenaires en pleine crise. Vu l’état du monde, elle s’interroge : J’ai bien fait ?

Une figure tutélaire plane sur la genèse de cette pièce. Celle d’Ivan Illich, penseur de l’écologie, critique de l’industrialisation et de la normalisation des institutions étatiques. Dans les années soixante, il militait pour Une Société sans école, préférant l’idée du partage de connaissance entre pairs à celui d’un savoir pyramidal porteur de valeurs détestables et contre-productives. Pas un hasard donc si le personnage principal du spectacle de Pauline Sales est professeure de français. À 40 ans, mère de deux enfants déjà grands, elle pique sa crise existentielle en débarquant dans l’atelier de son artiste de frère après avoir abandonné ses élèves en pleine sortie dans Paris. Craquage à tous les étages, pleurs et crise. Les nerfs à vif, le grand déballage commence entre ras-le-bol général, lassitude d’un mari biologiste et illusions perdues sur son rôle dans la société. Différents personnages (frère, mari, élève) explorent une pluralité de théâtralités mêlant adresses directes, plongées dans leurs pensées monologuées, chansons et dialogues aussi classiques qu’incisifs. Jubilatoire si ce n’était si criant de vérité. Valentine n’épargne rien à ses proches, du cynisme aux coups bas. L’irruption de Manhattan, une de ses anciennes élèves, sera la goutte de trop. C’était la plus odieuse et douée, « la figure même d’un échec potentiel à faire fructifier qui donne un sens à l’action de chaque prof », se moque son époux. L’enseignante reproche à celle ayant tout plaqué en Terminale un grand gâchi, refusant cette voie dissidente choisie par la jeune femme. Ne se reconnaissant pas dans ce monde qui lui déplaît et dont elle ne comprend pas les évolutions. Mais elle n’aura pas le monopole des reproches. Les attentats du 13 novembre 2015 font irruption. Dans sa bouche, les réactions de sa fille, effrayée à l’idée de « mourir en prenant une bière ou allant au concert », souhaitant ardemment que les terroristes visent la génération de ses parents, celle « n’ayant connu aucune guerre, ayant tout saccagé : la terre est en unité de soins palliatifs et tout le monde s’en fout. » Choc des générations à l’heure des comptes. La rage adolescente balaie les bonnes intentions et les compromis des quarantenaires présents. La critique n’épargne pas le monde de la finance. « On peut croire personne, il faut ouvrir les yeux sur tout », hurle-t-elle avec assez de recul pour se détester elle-même de penser cela en mangeant à sa faim et s’ennuyant « dans son adolescence de merde ». Ayant connu son petit succès quelques années auparavant, les états d’âme de Paul, luttant pour être plus qu’un artiste « aux moments d’exaltation solitaires », se déballent en alignant comme à la parade des dizaines d’édredons blancs jonchant le sol pour former un tas bien rangé. Bien propre. Comme les petits fagots qui peuplent nos consciences…


Au Taps Scala (Strasbourg), du 12 au 14 mars
taps.strasbourg.eu

Au Théâtre en Bois (Thionville), du 19 au 21
mars
nest-theatre.fr
Bus Metz-Thionville, jeudi 21 mars à 19h, départ devant l’Arsenal

À l’ACB (Bar-le-Duc), vendredi 22
mars
acbscene.com

À La Comédie de l’Est (Colmar), jeudi 23 et vendredi 24 mai
comedie-est.com

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