Rose is a rose is a rose

Portrait Olivier Dubois par Frédéric Lovino

Figure radicale renouvelant la danse contemporaine, Olivier Dubois s’empare de Come Out de Steve Reich avec le Ballet de Lorraine pour une création attendue.

En 1982, Anne Teresa De Keersmaeker signait une entrée fracassante dans le milieu de la danse avec Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich1. À 22 ans, elle campait notamment Come Out dans un duo assis aux gestes vifs et répétitifs du haut du corps. Olivier Dubois, né à Colmar en 1972, n’avait que 10 ans. Il admet volontiers ne pas avoir vu, depuis, cette pièce mythique. C’est donc avec un imaginaire vierge que le chorégraphe aborde la composition de Reich écrite en soutien aux Harlem Six : de jeunes afro-américains inculpés pour meurtre et molestés par la police durant les émeutes de 1964 dans le quartier new-yorkais. Reviennent en boucle les mots de l’un d’entre eux : « I had to, like, open the bruise up and let some of the bruise blood come out to show them »2. Dans un travail du phasage / déphasage novateur pour l’époque, la fin de ce témoignage – « come out to show them » – devient entêtant et redondant, transformé par la réverbération et les collages.

Photo d’Emie Salquebre

À l’instar de Révolution3 où ses danseurs tournoyaient au son d’un Boléro de Ravel retravaillé sur une durée de 2h15, le chorégraphe avait « une énorme envie pour cette musique qu’on peut asséner jusqu’à avoir des hallucinations visuelles en s’éloignant de ce qu’elle est, pour toucher au poétique ». S’inspirant de son contexte, même s’il se garde de « tout commentaire sociétal », naît « l’idée d’un combat en écho à ce jeune homme faisant couler son sang pour révéler les bleus qu’il a sous la peau ». Pièce à système, Come Out se base sur un mouvement de corps se répétant avant de se déployer, « une partition très complexe sur fond de couleur rose omniprésente. Tout bouillonne sous-cutané, le sang a visiblement envie d’éructer. Ce rose changeant d’état et de perception se révélera autre, en écho à la célèbre phrase de Gertrude Stein : Rose is a Rose is a Rose. » Celui qui fut l’interprète de Jan Fabre, Sasha Waltz ou Angelin Preljocaj n’hésite pas à travailler jusqu’à l’épuisement avec ses danseurs. « Je suis toujours loin des limites avec des professionnels », nuance-t-il. « Mais les placer simplement sur un plateau ne m’intéresse pas, je fais en sorte de faire sortir le monstre qui est en chacun d’eux. Pour cela, il faut attaquer le cerveau et le corps pour atteindre un état de métamorphose qui emporte les danseurs comme le public. On touche alors une beauté singulière très forte, aussi bien poétique que politique. Mes partitions sont si difficiles que le corps est proche de l’asphyxie. Mais avec l’accompagnement physique de training que je mène avec eux au début des répétitions – explosivité des cuisses, gainage et abdominaux pour un ancrage au sol puissant –, cela se transforme en appétit féroce. »


À l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 13 au 17 novembre
opera-national-lorraine.fr
ballet-de-lorraine.eu

1 La chorégraphe a transmis cette pièce à de nouvelles danseuses, spectacle à découvrir à La Comète de Châlons-en-Champagne mardi 10 et mercredi 11 décembre
la-comete.fr
2 « J’ai dû ouvrir mes bleus et laisser le sang couler pour leur prouver », témoignage des violences subies au procès

3 Lire Nous les vagues à propos de Révolution dans Poly n°152 ou sur poly.fr

vous pourriez aussi aimer