Ronde de vie

Photo de Claudia Kempf

MA Scène nationale poursuit son chemin aux côtés de Cristiana Morganti* en accueillant la première française de sa dernière pièce, Another round for five. 85 minutes de pure ivresse de vie.

L’ancienne danseuse de Pina Bausch continue de tracer son superbe sillon dans la danse contemporaine actuelle.

Cette fois, l’Italienne n’est pas au plateau. Elle y précipite cinq jeunes interprètes dans une chorégraphie très théâtrale jetant, dans une simplicité confondante, la vie sur scène. Tout part d’un cercle de lumière et de cinq chaises. Comme dans un ring de boxe, un gong rythme les séquences, l’émotion brute et sensible le disputant à la virtuosité des corps. Se multiplient de fines narrations éphémères, naissant aussi rapidement qu’elles disparaitront sous la dérive d’autres intensités vagabondes, plus intimes. S’orchestrent engueulades en venant (presque) aux mains, discussions avortées, confidences trop intimes sur les premières amours ou la relation aux parents, dans lesquelles chacun fait “comme si”, avec un entrain de façade, avant d’être dans l’instant rattrapé par l’émotion de la réalité. Avec ce talent rare de s’ancrer totalement dans le moment présent, ils sont habités par leurs personnages et capables d’en livrer par le corps les remous intérieurs. Nous pourrions passer la journée entière à les regarder être. Les sentiments se font et se défont, l’une éclate toujours en sanglots dans un coin, poussant certains à quitter le groupe qui reste coi, entre des postures d’empathie, de compassion et de mépris. Un moyen parmi d’autres de capter l’attention,

comme de la prolonger dans l’absence visible. Ces ressorts d’intériorité reposent sur des situations banales : un pied écrasé et voilà que se confondre en excuses vire à l’empoignade inextricable en raison d’une politesse exagérée. Cristiana Morganti nous offre le luxe de redonner à vivre certains motifs, transformés par des voix accélérées ou des paroles soudainement hurlées. Le tout magnifié par un esthétisme des plus raffinés, la lumière serpentine se faisant isolante et découpante, sculptant l’ombre sur les corps pris de haut, drapés dans des matières satinées qui brillent dans la semi-obscurité. Ces plongées dans la psyché foisonnante des danseurs provoquent une ivresse jouissive de jeu et d’incarnations débordantes, souvent drôle (un pastiche de Flashdance et de vraies-fausses remises de prix) et sexy, remplies de sentiments contradictoires. Et l’on se délecte de certains effets qui demeurent en tête bien après la fin du spectacle, tels ces travelings sans mouvement de caméra, créés par les seuls déplacements des danseurs ou ces plans-séquences multipliant les intentions et les seconds plans. « La performance révèle notre fascination pour une obscure harmonie ancestrale, un antidote, une protestation contre la vague montante d’intolérance, l’incapacité à communiquer, la profonde peur à l’origine de notre interaction humaine. » Tout est dit.


Au Théâtre de Montbéliard, mardi 17 novembre
mascenenationale.eu

* Voir notre article sur Moving with Pina dans Poly n°215 ou sur poly.fr

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