Retiens la nuit

Augusto Giacometti, Sternenhimmel (Milchstrasse), 1917, Bündner Kunstmuseum Chur, Suisse

Le Centre Pompidou-Metz rassemble les visions d’artistes noctambules modernes et contemporains cherchant à Peindre la nuit. Plongée dans une vertigineuse obscurité.

«Le coucher de soleil n’est pas la fin, mais le début de quelque chose », pour les plasticiens sélectionnés par Jean-Marie Gallais, commissaire d’un parcours sur deux niveaux et en plusieurs étapes où l’on avance à tâtons, des profondes ténèbres à la clarté. La nuit est un obscur objet de plaisir pour ceux qui ne veulent pas dormir : les veilleurs insomniaques cherchent à la saisir, l’explorer, la retenir. Elle altère nos sens, tout en nous effrayant, ouvre une porte vers l’inconscient et fait prendre conscience de notre petitesse face à l’immensité de l’univers. Depuis le XIXe siècle, elle « n’est plus un arrière-plan, mais un sujet à part entière », selon le commissaire.

Le Tombeau des lucioles

Avec Kelip Kelip (2011-2018), « vidéo conçue comme une peinture », Jennifer Douzenel place le spectateur face à un plan fixe couleur pétrole où l’on distingue de petits points lumineux mouvants. Une image volée à la NASA ? « Une carte du ciel vivante » dessinée par une colonie de lucioles filmée en Malaisie dans un marais de l’autre bout du monde. Belle entrée en matière pour le premier chapitre éponyme de l’exposition. Lorsqu’il est tard, les ombres s’aplatissent, les contrastes s’effacent, les frontières se brouillent et les formes deviennent masses. Ainsi, avec sa Nuit d’été (1890), l’Américain Winslow Homer ne « peint pas le réel, mais ce qu’il produit sur nous », souligne Jean-Marie Gallais citant Whistler. Après s’être perdus dans « le royaume de l’indistinction » composé par les théâtres de la perception que sont les toiles de Mondrian, Monet (son abstrait et vibrant Leicester Square) ou Amédée Ozenfant, les visiteurs (du soir) sont conviés à « habiter la nuit », notamment en compagnie d’Auguste Chabaud. L’artiste fauve français décrit la vie nocturne parisienne et ses rues en faisant flotter des enseignes lumineuses comme autant de « persistances rétiniennes ». Selon Alexandra Müller, conseillère scientifique de l’expo, « avec l’arrivée de l’électricité, l’homme n’est plus vraiment confronté à la nuit qui est comme poussée à la marge. » À proximité des toiles de Chabaud, on croise d’étranges créatures nocturnes, princes des ténèbres, soulards imbibés et autres proxénètes obèses, cigare au bec, parmi les filles de joie. La fête et ses excès attirent les plasticiens comme un aimant. Les cinéastes aussi : une porte qu’on n’ose à peine pousser nous mène au coeur d’une scène de nouba arrosée tirée de La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino où l’on hurle, danse perchés sur des talons hauts et se trémousse ridiculement sur une techno grossière. Une parenthèse hors propos censée illustrer la vulgarité vers laquelle peut parfois choir la fête…

Star Gazing

Milky way

Reprenons plutôt un second verre de whisky en compagnie de Patrick Caulfield et tous les Night painters pour lesquels l’alcool est un excellent carburant et qui, parfois, s’accrochent aux réverbères lorsque l’ivresse les pousse à se confier au dernier ami disponible, au petit matin. Les noctambules tentent d’échapper à la réalité et les Surréalistes s’engouffrent dans la matière noire pour percevoir un monde parallèle bien plus beau que nos jours. André Masson va jusqu’à imaginer un Piège à soleils (1938) pour parvenir enfin à vivre une passionnante obscurité infinie. Car la nuit cache, mais elle révèle aussi. « La clarté dissimule les étoiles bien présentes, mais qu’on ne voit pas en plein jour », note le commissaire. Dans la seconde partie de l’expo nommée De l’intime au cosmos s’expriment des artistes qui basculent dans l’immensité galactique. Augusto Giacometti, Pablo Picasso ou Jason Dodge nous relient à l’univers, affirmant que « nous sommes tous de la poussière d’étoiles, nés du Big Bang ». La belle et terrifiante Voie lactée (1990) du peintre écossais Peter Doig se reflétant dans une étendue d’eau ou l’immensément fluide Star Gazing (1989) d’Helen Frankenthaler enveloppent le visiteur d’une substance nocturne “palpable”. Nous venons de faire une noire et fascinante traversée dans une exposition qui, comme le souligne Alexandra Müller, « ne retrace pas l’histoire de la représentation de la nuit en peinture, mais se veut un parcours personnel et sensoriel, du moment du crépuscule, entre chien et loup, jusqu’au sentiment cosmique. »


Au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 15 avril 2019

centrepompidou-metz.fr

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