Interview avec Emmanuel Kasarhérou, directeur du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac

Portait par Thibaut Chapotot

Les Territoires de l’eau fait dialoguer art contemporain et œuvres extra-européennes venues du musée du quai Branly – Jacques Chirac. Rencontre avec Emmanuel Kasarhérou, directeur de l’institution parisienne.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans la proposition de la Fondation François Schneider d’organiser une exposition commune ?
À la fois le propos et l’enjeu. Faire dialoguer les œuvres du patrimoine extra-européen avec des créateurs d’aujourd’hui est une démarche toujours riche, même si on ne peut jamais être sûr du résultat… La grande qualité de Marie Terrieux, directrice du fonds d’art contemporain de la Fondation François Schneider, est de l’avoir fait avec beaucoup de sensibilité. Il y a quelque chose de ténu mais perceptible qui apparaît dans la co-présence de ces pièces. Loin d’être imposés, les dialogues semblent spontanés.

L’eau est une thématique qui s’y prête particulièrement…
La question renvoie en effet à quelque chose de fondamental dans toutes les sociétés humaines, du néolithique à nos jours. Comment accéder à cette ressource, par quels moyens la conserver, de quelle manière l’appeler par temps de sécheresse, la repousser quand elle se fait trop abondante ? Il est très intéressant de voir en quoi ces préoccupations font écho à une forme d’urgence contemporaine.

Ce dialogue est-il aussi une façon de diversifier les regards portés sur les œuvres de votre musée ? 
Considérer le patrimoine comme figé dans le passé et la création seulement arrimée au présent est une erreur. Notre mission est de réaffirmer leur filiation : ce qui est actuellement création sera patrimoine demain, et ce qui est aujourd’hui patrimoine fut création autrefois.

Guillaume Barth, Le deuxième Monde, Elina, 2015, vidéo, 4mn41 © Fondation François Schneider

D’ailleurs, au jeu de deviner quelle pièce vient du passé et quelle est contemporaine, on se trompe plus d’une fois !
Cela permet de revisiter les catégories avec lesquelles on regarde les objets. Nous avons trop souvent des tiroirs tout prêts où ranger les choses avant même de les avoir vues. Les Territoires de l’eau brouille les repères et autorise à voir les œuvres pour ce qu’elles sont.

Le visiteur découvre, entre autres, un masque de deuilleur kanak du XIXsiècle. Quelle est l’importance de l’eau dans cette culture qui est aussi la vôtre ?
Elle lui est consubstantielle : l’eau salée qui entoure l’île et nourrit, l’eau douce qui étanche la soif. Dans cet univers, le monde sous-marin, qui s’étend par-delà le miroir des flots, est celui des morts. Ce masque est l’objet rituel voyageant de l’un à l’autre. Il fait le lien entre vivants et morts. Avec son nez proéminent, sa protubérante coiffe de cheveux et sa cote de plumes, il a une présence forte, entre terreur et fascination. C’est un objet puissant, auquel j’ai eu le sentiment que répondait Les Ruisselantes de Nour Awada, hypnotique vidéo-performance où la jeune femme, nue dans un champ, livre son corps à la pluie. Du rite initiatique au rite mortuaire… et retour.


À la Fondation François Schneider (Wattwiller), jusqu’au 14 novembre  
fondationfrancoisschneider.org

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