Minuit moins dix

© Cici Olsson

Après Le Petit Chaperon rouge et Pinocchio, Joël Pommerat continue à explorer les méandres des contes pour enfants. Il passe au scanner l’histoire de Cendrillon pour en faire une fable initiatique moderne, en forme d’envoûtement théâtral pour petits et grands.

La citrouille qui se transforme en carrosse, la bonne fée et sa baguette magique, la pantoufle de vair… Avec Joël Pommerat, mieux vaut tout oublier. Dans sa version pourtant enchanteresse, Cendrillon est une gamine qui n’a pas la langue dans sa poche, le prince n’a rien de charmant, la fée ressemble à une hippie sur le retour et le bal au château prend des airs de rave. Mais les demi-sœurs sont toujours d’une bêtise ahurissante… accros à leur téléphone portable. La belle-mère, évidemment vulgaire et hargneuse, est adepte de la chirurgie esthétique. Quant à Sandra, rebaptisée Cendrier par sa nouvelle famille aimante, elle endure comme il se doit les moqueries et les corvées. Jusqu’au coup de foudre avec le prince.

La trame est bien celle du conte popularisé par Perrault et les frères Grimm, mais l’originalité et la force de Joël Pommerat résident dans sa lecture très différente des personnages et de leurs mécanismes psychologiques. « Je me suis rendu compte que tout partait du deuil, avec la mort de la mère de Cendrillon. C’est cette question qui m’a donné envie de faire ce spectacle, non pas pour effaroucher les enfants, mais parce que je trouvais que cet angle éclairait les choses d’une nouvelle lumière. Ce n’est pas seulement une histoire d’ascension sociale conditionnée par une bonne moralité qui fait triompher de toutes les épreuves ou une histoire d’amour idéalisée. Il s’agit plutôt d’une histoire qui parle de désir au sens large : le désir de vie, opposé à son absence », explique l’auteur et metteur en scène. Et si le destin de Sandra-Cendrillon tenait à un malentendu ? Parce qu’elle a mal compris les dernières paroles inaudibles de sa mère, la jeune fille au tempérament pourtant rebelle cherche à se punir de ne pas être assez fidèle à sa mémoire, en se soumettant à la tyrannie de ses sœurs et de sa marâtre. Là réside le nœud du conte selon Pommerat : dans le lien cruel entre chagrin et culpabilité. Toujours en équilibre parfait sur le fil de la pertinence, de l’humour et de l’émotion, le metteur en scène atteint une justesse rare, en inventant incessamment des variations qui conjuguent la vérité des êtres et l’imagination. Dans un fabuleux jeu d’ombres et de lumières, de transparences et de miroirs, la scénographie signée Éric Soyer ouvre les portes d’un onirisme poétique où le rêve se superpose aux cauchemars enfantins. Au rose bonbon des contes édulcorés, Joël Pommerat préfère les couleurs de la réalité. Par la grâce de sa mise en scène, elles deviennent féeriques.

À Thionville, au Théâtre, du 2 au 5 juin

03 82 82 14 92 – www.nest-theatre.fr

 

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