Materials’ life matter ou le futur vu par Maarten Vanden Eynde

Plastic Reef, 2008-2013. Art Space Pythagorion, Pythagóreio, Grèce, 2019 © photo : Panos Kokkinias

Exhumer le futur retrace vingt ans de création du Belge Maarten Vanden Eynde. Une rétrospective en forme de coup de poing donné à l’idée de progrès, qui rappelle de quoi sont faits nos objets. 


Maarten Vanden Eynde, Plastic Reef, 2008-2013. Art Space Pythagorion, Pythagóreio, Grèce, 2019 © photo : Panos Kokkinias 

«Ils ont partagé le monde, plus rien ne m’étonne / Si tu me laisses l’uranium / Moi je te laisse l’aluminium / […] Ils ont partagé Africa sans nous consulter / Ils s’étonnent que nous soyons désunis ! / Une partie de l’empire Mandingue / Se trouva chez les Wolofs / Et dans le Ghana / Une partie de l’empire Mossi. » La chanson de l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly pourrait servir de bande son à la visite de cette édifiante exposition. Elle donne d’ailleurs son titre à l’oeuvre qui en ouvre le parcours, élaborée en collaboration avec le peintre congolais Musasa. Ils ont partagé le monde (2017) figure une improbable roue de la fortune et du soi-disant progrès, dont chacune des neuf parts retrace à coups de rébus et pictogrammes colorés l’histoire du pillage organisé des ressources de la planète. Ivoire, caoutchouc, cuivre, or, pierres précieuses, coton, bois, pétrole, uranium… Sur ces matières premières s’est érigée l’humaine civilisation ; d’elles dépend entièrement notre capitaliste société de consommation. Elles sont si présentes dans notre quotidien que nous ne les remarquons plus. Et pourtant ! En vingt ans de carrière, Maarten Vanden Eynde, lui, n’a eu de cesse de les interroger, enquêter sur leurs origines, démêler l’entreprise coloniale – et post-coloniale – à laquelle elles sont indissociablement liées, mettre au jour les luttes de pouvoir dont elles font l’objet. Dans le grand hall de béton de la Kunsthalle, s’élève ainsi Fat Man 3D (2022), reproduction fidèle, toute en délicate dentelle au fuseau, de la bombe atomique qui raya Nagasaki de la carte le 9 août 1945… Histoire de ne jamais oublier que l’uranium de l’arme fatale provenait de Kinshasa (via Anvers), et que bien avant cela déjà, le coton utilisé dans la passementerie dont s’enorgueillissent encore les Flandres était ramassé par les esclaves congolais vendus aux Sudistes par Léopold II. 

Terreur de la consommation de masse 

Passionné de géologie, d’histoire, d’anthropologie, de sociologie (la liste est longue), l’érudit Vanden Eynde, qui prépare une thèse sur l’influence de l’essor des dispositifs d’aide-mémoire externe sur la marche de l’Humanité, croise pratiques artistiques et questionnements sur les grands enjeux sociaux et environnementaux présents, passés et à venir. Comme quand il prélève plusieurs centaines de kilos de déchets plastiques dans le tristement célèbre gyre de l’océan Pacifique pour le fondre et le transformer en un mutant récif de corail multicolore à l’inquiétante beauté (Plastic Reef, 2008-2013). Allusion à la torture de la privation de sommeil appliquée à Guantanamo, War on Terror (2016) présente quant à lui une invraisemblable collection de 212 bouchons d’oreille de toutes formes, tailles et teintes possibles, jetables et à usage unique. Ou quand le terrorisme de la consommation de masse sévit ! 

Civilisation ikea 

En archéologue du futur, le plasticien belge imagine ce que les scientifiques de demain déduiront des vestiges que nous laissons, le récit qu’ils construiront pour rendre compte de cette période géologique nouvelle : l’Anthropocène, débutée à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, quand l’influence de l’Homme sur le système terrestre est devenue prédominante. Une ère désormais marquée au sceau risible d’IKEA, comme il le rappelle avec Nova Victoria (2014), commémorant le jour où le catalogue de la marque devint le livre le plus imprimé dans l’histoire – devant la Bible –, ou en enterrant clandestinement une tasse à thé du géant suédois dans le Forum romain (Preservation of IKEA teacup, 2005). Et si, finalement, les anthropologues de demain nous rebaptisaient : de Sapiens à… Homo stupidus stupidus (2008) ? Ils n’auraient peut-être pas tout à fait tort. 


À la Kunsthalle (Mulhouse) jusqu’au 30 octobre 

> Les Rendez-vous famille (à partir de 6 ans) proposent de découvrir l’exposition par le jeu et de réaliser, avec l’aide d’un céramiste ou designer, une création lui faisant écho (25/09 & 09/10, 14h30, gratuit, inscription obligatoire) 

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