L’image manquante

Photo de Marie Charbonnier

Camille Dagen et Emma Depoid, diplômées de l’École du TNS en 2017, signent leur premier spectacle, Durée d’exposition, recherche de réalité par le prisme du procédé photographique.

Comme un jeu de contrainte dada visant à bousculer le morne train-train quotidien et la confortable position du spectateur, réceptacle passif d’histoires connues et de signes lisibles. Animal Architecte, fondé par la comédienne Camille Dagen et la scénographe Emma Depoid après leur rencontre à Strasbourg, est à l’origine de cette performance théâtrale révélatrice de réel. L’acte photographique argentique, procédé complexe avec ses étapes immuables, est utilisé à la lettre par deux comédiens dans une tentative de reconnexion à la vraie vie. Point d’ancrage à la pièce, ils suivent un manuel avec ce qu’il comporte d’incongru au plateau pour des interprètes démunis d’appareil mais pas d’outils, à la recherche d’une image manquante. Sensation. Émotion. Trace de l’autre. « Être là, regarder, choisir un sujet, cadrer, régler, déclencher, rembobiner, développer, tirer. » De l’image latente à l’image finale visible, grâce au tirage, ses bains de révélateur, d’arrêt, de fixateur. Son rinçage aussi. Cette architecture – aux atours absurdes une fois décontextualisés de leur objet – guide pourtant une quête d’instants essentiels à trouver dans l’ordinaire des choses et des actes au plateau. Avec force errements et autres digressions déroutantes, le duo d’interprètes part en recherche de procédés pour toucher à la vie, le spectateur envisagé comme pellicule témoin, « surface sensible qui, au contact d’un rayonnement lumineux, réagit chimiquement ». Les émotions se traduisent bien en ondes électriques déferlant dans le corps, en transpiration, puis en rêves et souvenirs.

Photo de Marie Charbonnier

Durée d’exposition est l’histoire d’un manque sur lequel rebâtir, à combler par du désir. À créer depuis l’impalpable. Elle ne manque pas d’humour dans son énonciation terre à terre et frontale de données précises et incongrues sur le cadre de scène, les comédiens et les membres de l’équipe. Leurs vies, leurs champs d’actions et leurs limites. Il faut bien un sujet à tout projet, photographique ou théâtral. Le leur ? La séparation. Se télescopent des tirades de Bérénice et un monologue pastiché jusque dans son accent de Baisers volés de Truffaut, des actes performatifs au milieu de la fumée sur fond de musique electro atmosphérique et minérale. Le minuscule et l’anodin prennent la puissance de révélations grandioses, la répétition machinale des étapes d’un procédé transcrites dans les corps épuise les ressors du geste et, peut-être, fait advenir cet obscur objet du désir, les yeux dans les yeux avec le public. Il en faut des chocs pour s’extraire de la torpeur de l’habitude : bassines d’eau jetées à la figure, harangue punk hurlée aux absents, bouts de poème à la simplicité nue, mais porteurs d’un lyrisme chatouillant les peines… Peu importe, finalement, cette image manquante, tant que le cheminement intérieur nous reconnecte avec l’autre, donc avec nous-même.


Au Maillon (Strasbourg), mardi 4 et mercredi 5 février
maillon.eu

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