Les ballets suédois investissent la Lorraine

DansesCruesD.BRUN ©CCN-BL

À l’invitation de Petter Jacobsson et Thomas Caley au CCN-Ballet de Lorraine, les chorégraphes Dominique Brun, Latifa Laâbissi et Volmir Cordeiro revisitent le répertoire des Ballets suédois.

Si les Ballets russes de Serge de Diaghilev et de leur danseuse iconique Ida Rubinstein – qui fut aussi la mécène de Ravel, lui commandant le Boléro – sont restés dans les mémoires, force est de constater qu’ils ont éclipsé bien d’autres aventures artistiques. Avec le programme Pas assez suédois !, Petter Jacobsson et Thomas Caley, chorégraphes mais aussi directeur général et coordinateur de recherche du Ballet de Lorraine, entendent bien remédier à l’oubli collectif en proposant à trois de leurs pairs de s’emparer, chacun, d’une pièce du répertoire des Ballets suédois qui, entre 1920 et 1924, signèrent une vingtaine de créations. Après la Première Guerre mondiale, Paris est la capitale bouillonnante de l’Art et nombreux sont les ensembles qui viennent s’y installer. Comme leurs homologues russes, la troupe dirigée par Jean Börlin fusionne arts plastiques, peinture, cirque et poésie, expérimentant les tableaux vivants et l’expressionnisme. Décors et musiques sont signés Picabia, Foujita, Léger, Satie, Poulenc, Germaine Tailleferre ou encore Honegger. L’avant-garde artistique bat son plein – en témoigne Relâche en 1924, ballet dadaïste – et désarçonne le public par son dynamitage des codes de la danse.

UN SIÈCLE PLUS TARD

Dans Fugitives archives, Latifa Laâbissi organise un entrechoquement d’images d’archives des Ballets suédois. Un rideau de papier, déroulé comme un leporello accueille les ombres et figures dessinées du Marchand d’oiseaux dont l’érotisme des pas et les parodies burlesques font fureur. Petter Jacobbson et Thomas Caley inventent Mesdames et Messieurs en s’inspirant de l’insolente revue Cinésketch. Un pastiche éphémère (joué une unique fois !) de vaudeville, signé Francis Picabia. Jouant des travestissements à vue, ils rendent hommage à l’esprit volage d’alors, plein de provocations. Quant au Brésilien Volmir Cordeiro, il remet littéralement en cause L’Homme et son désir de Paul Claudel dans Érosion : « Un récit d’une motte de terre prenant sa revanche, en éruption, faisant trembler le plancher et débander l’éros viril dominant. » Une manière de donner voix aux populations autochtones de la forêt brésilienne, invisibilisées dans la pièce initiale de l’écrivain français, comme de bouleverser son fantasme d’une Amazonie vierge à l’heure où elle brûle de toute part sous les assauts de la mondialisation et de la politique de Jair Bolsonaro. Enfin, Dominique Brun transfigure la genèse de Nuit de Saint- Jean, dans laquelle Börlin détournait et amalgamait des danses folkloriques en 1920. Elle conçoit Danses crues en dépouillant jusqu’à l’os un ensemble de danses suédoises et macédoniennes comme le teškoto, pour retrouver leurs rondes circulaires, tressaillements, sauts et gestes de la main. Une réhabilitation des liens entre les danses dites populaires et savantes.


À l’Opéra national de Lorraine (Nancy) du 18 au 22 mai
ballet-de-lorraine.eu

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