Les amants du pont-neuf

Verhüllter Pont-Neuf, 1995, Foto W. Volz, signiert, © CHRISTO

Un inconnu vous offre le Reichstag dans un paquet cadeau ! C’est l’effet de Christo et sa femme Jeanne-Claude qui emballent des monuments du monde entier. Grâce à des photos, croquis ou films, la kunsthalle messmer nous convie dans les arcanes créatifs du binôme.

Certains compressaient ou “expandaient” (César). D’autres déchiraient (les affiches lacérées de Raymond Hains) ou brisaient (les instruments de musique passés à la moulinette d’Arman). Dans les années 1960, de nombreux artistes se trouvent un langage fort et aisément identifiable. Christo, lui, emballe à tout va, sortant l’art du white cube, notamment en empaquetant la Kunsthalle de Berne en 1968, le premier bâtiment public “custumisé” par l’artiste d’origine bulgare. Christo Javacheff, né à Gabrovo en 1935, passa par les Beaux-Arts de Sofia avant de s’installer à Paris en 1958 où il rencontre Jeanne-Claude Denat de Guillebon (1935-2009) qui deviendra sa femme, sa complice. Il ne tardera pas à croiser la route des Nouveaux Réalistes (César, Hains, Arman, Tinguely…) et commence à envelopper de toile et ficeler des objets du quotidien. Christo et Jeanne-Claude, touchés par “l’emballite aigüe”, recouvrent des magazines, des arbres (ceux du jardin de la Fondation Beyeler en 1998) ou des monuments comme celui dédié à Leonard de Vinci à Milan, mettant bien souvent en œuvre d’importants moyens techniques et logistiques.

Surrounded Islands IV, (Stoff), Originalfoto W. Volz, signiert © CHRISTO

Le couple n’a pas uniquement emballé : il a également construit un mur de barils (Iron Curtain, 1962), projet pas bidon bloquant une rue parisienne en faisant un clin d’œil au mur de la honte érigé à Berlin un an plus tôt, ou encore planté des milliers d’ombrelles dans le paysage japonais ou américain, éclaboussant le panorama d’innombrables touches colorées. L’an passé, grâce à des pontons flottants (Floating Piers), il invita le public – très nombreux – à marcher sur le lac d’Iseo en Italie ! Il s’agit d’œuvres éphémères proches du Land Art : seuls dessins préparatoires ou photos (notamment de Wolfgang Volz, présentées dans l’expo) archivent les interventions… et les financent lorsque le duo les vend. Les plus gros coups du couple ? L’emballage du Reichstag en 1995 (avec des premières esquisses de 1971). Dix ans plus tôt, il fit de même avec le Pont-Neuf en 1985 qui, recouvert d’un voile plissé couleur or, s’est trouvé magnifié, voire “déréalisé”. Pour les Christo, cacher, c’est révéler. Dissimuler permet de souligner (formes et volumes) et de transformer : un simple drapé et la côte australienne se métamorphose en banquise (Wrapped Coast, 1969) ! Aussi, en empaquetant comme un jambon un édifice tel que le Musée d’Art contemporain de Chicago (1969), le tandem en fait un “produit culturel” et rappelle que tout s’achète ici-bas : emballé, c’est pesé !

À la kunsthalle messmer (Riegel am Kaiserstuhl), jusqu’au 18 juin

kunsthallemessmer.de

christojeanneclaude.net

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