Le cauchemar des festivals

Eurockéennes de Belfort © TILT

La Covid-19 aura eu raison de la saison des festivals de musique. Retour sur les conséquences économiques fragilisant tout un écosystème à travers deux exemples emblématiques, privé et public.

Le secteur n’avait plus connu pareille crise depuis 2015. L’enchaînement des élections municipales de 2014 et de la suppression des dotations de l’État aux collectivités locales avait alors entraîné des coupes budgétaires franches et l’annulation de plus d’une centaine de festivals. Cinq ans plus tard, ce sont les mesures sanitaires inédites qui obligèrent à baisser pavillon. Pour beaucoup, ce sont des mois de travail tombant à l’eau à l’image des Eurockéennes de Belfort, obligés de se plier à l’interdiction des festivals jusqu’à la mi-juillet annoncée mi-avril par le Président de la République. Jean-Paul Roland, directeur de l’association Territoire de Musiques qui organise cet événement à la programmation internationale réunissant près de 100 000 personnes, a tout de suite évoqué l’ombre d’un péril. « Les dépenses déjà engagées plus les frais de fonctionnement et salaires menacent la survie du festival comme de l’association. Ce sont 1,2 millions d’euros qui manquent sur un budget global de 8 millions pour Les Eurocks. » Rapidement Région, Département et Ville de Belfort ont maintenu leurs subventions. Le sponsoring et le mécénat représentent 25% du budget. « Le Crédit Agricole, mécène principal, a confirmé son don, suivi par d’autres : Cora et la société d’économie mixte Tandem », tient à préciser celui qui dirige le festival depuis 2001 après avoir longtemps été conseiller artistique. « Au final, il reste 400 000 euros à trouver, les prêts bancaires garantis par l’État et l’activité partielle – terme que je préfère à celui de chômage – atténueront les difficultés d’atterrissage mais le déficit de la structure se chiffre à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comment les rembourser ensuite ? » D’autant que Territoire de Musiques ne redémarrera pas avant janvier et qu’elle porte de nombreuses autres activités qui ont toujours été plus de l’ordre des dépenses que de la rentabilité. L’investissement des équipes dans le festival GéNéRiQ auquel ils apportent de nombreuses aides en coproductions comme en programmation devra sûrement être revu à la baisse. « Mais pas question de renoncer aux multiples actions solidaires auxquelles nous tenons. Les dons de billets dont les festivaliers ne demanderont pas le remboursement seront fléchés vers ces dernières afin de nous assurer de leur pérennité. » Au-delà de sa seule situation, Jean-Paul a travaillé à l’idée d’une “carto-crise” chiffrant le manque à gagner pour tous les prestataires et petites structures travaillant avec Les Eurocks, parfois nées dans son sillage comme Trinaps (spécialiste de l’ingénierie réseau) ou Sesab (construction modulaire, toilettes sèches) : le festival injecte directement 7 118 000 euros dans l’économie régionale. « Le chiffre donne le tournis, surtout mis en parallèle avec les retombées économiques qui s’élevaient en 2017, selon un rapport du Conseil départemental, à 13 millions, hors festivaliers locaux ! Ces dernières années, on nous a plus parlé de nombres de gendarmes et de sorties de secours qu’autre chose. J’espère que dans le plan de relance, on nous verra autrement que comme un simple objet de distraction », assène Jean-Paul Roland qui conserve « la passion et la foi, comptant sur une vague de solidarité pour passer celle de sidération actuelle ».

Foire aux vins de Colmar, 2019 © Colmar Expo

Double peine pour le privé
Autre poids lourd régional, La Foire aux vins de Colmar a également dû renoncer à accueillir son cru 2020 d’exposants et d’artistes. Dix jours à cheval sur juillet et août où se pressent habituellement plus de 300 000 personnes, « c’est tout simplement le plus important des événements organisés par Colmar Expo », assure Christophe Crupi, directeur des foires et salons. « À lui seul il représente 65% de nos revenus. Heureusement que la société anonyme est gérée en bon père de famille depuis 1992 car le Parc des expositions et des congrès de Colmar que nous gérons également est à l’arrêt depuis le 9 mars, au moins jusqu’en septembre. » La spécificité du rendez-vous bicéphale associant producteurs de vins et concerts a rendu impossible son déplacement de quelques mois. « La météo de septembre ou d’octobre est trop capricieuse pour jouer en extérieur et il n’est pas question non plus d’empiéter sur les autres foires viticoles automnales. Quant à faire l’un sans l’autre, cela n’aurait convenu ni aux exposants ni aux festivaliers habituels. » L’entreprise aux 31 salariés compte donc sur ses seuls capitaux propres pour affronter la crise. Conscient du « gros coup porté à la viticulture alsacienne représentant 75% des professionnels de la Foire aux vins », Christophe Crupi n’oublie pas non plus les retombées économiques pour le territoire. Il s’appuie sur Cleo, calculateur de performance globale développé par l’Union des métiers de l’événementiel, pour chiffrer le manque à gagner direct et indirect à partir des données de 2019. Ce sont près de 40 millions d’euros pour l’économie régionale qui se sont envolés. « Qu’en sera- t-il en octobre pour notre 8e édition du Festival d’humour de Colmar ? Il ne sera pas viable avec des tiers ou des demi- jauges, surtout avec une salle de 1 300 places. Nous devrons prendre une décision au plus tard fin juin, en espérant ne pas avoir de rebond de l’épidémie, sinon le secteur culturel privé comme le nôtre sera très très mal. »

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