L’âge adulte

Pour Fatou Diome, écrivaine franco-sénégalaise installée à Strasbourg, il est Impossible de grandir sans regarder bien en face les démons de l’enfance. Entretien avec une grande personne qui s’assume.

Dans votre dernier livre, vous écrivez : « Je n’ai pas de métier, au sens Pôle emploi du terme »…

J’ai toujours travaillé dans ma vie, alors ça ne me fait pas peur ! On me demande parfois si c’est difficile d’écrire un livre et cette phrase est une manière de dire que pour moi c’est une passion depuis l’âge de treize ans. Je ne perçois pas l’écriture comme un travail au sens latin du terme : tripalium, la torture.

Vous n’écrivez jamais dans la souffrance ?

Non, si ça devenait le cas, j’arrêterais. Même si je mets des choses terribles dans mes livres, je prends beaucoup de plaisir. C’est un vrai bonheur d’agencer les mots.

Votre style est très imagé. Les mots vous viennent naturellement ?

Je parle de cette manière ! Il n’y a pas d’artifices. Je pense que ça fait partie de la politesse de la vie de dire les choses autrement, de fleurir la discussion. Raconter une histoire de A à Z n’est pas excitant. Par contre, j’aime la gymnastique intellectuelle, la recherche d’une structure narrative originale, le tissage d’une trame romanesque qui ne soit pas linéaire…

Sólo quiero caminar de Paco de Lucia revient régulièrement dans Impossible de grandir. La musique est importante dans vos livres. Vient-elle imposer un rythmer au roman ?

Non, je pose une ambiance, puis je cherche les morceaux qui répondent à cette humeur-là. Sólo quiero caminar est une métaphore de la complainte universelle. « Je veux seulement marcher comme la pluie coule sur la vitre », voilà ce que mon héroïne, Salie, cherche à faire : se lever, se tenir droite et marcher.

« Une petite fille me poursuit, me harcèle, m’assiège » :  Salie pense arriver à se débarrasser de la Petite, cette voix intérieure qui ne cesse de lui rappeler son enfance douloureuse au Sénégal…

Oui, mais la Petite lui apprendra que l’amnésie ne se décrète pas : « L’amnésie volontaire est un moule de cire qui ne fait que mettre en évidence les aspérités de la mémoire qu’on s’évertue à dissimuler. »

L’écriture n’a pas le pouvoir de faire oublier, alors il faut affronter son passé ?

Il faut faire face aux loups et aussi ne plus correspondre à ce que les gens attendent de nous. Être ce que l’on est et s’accepter.

« Rejeté, on s’adapte ainsi à ce que la société renvoie, c’est-à-dire la difficulté, voire l’impossible adhérence. »

Cette formule s’adapte à toutes les formes de rejets. Si quelqu’un ne vous aime pas parce que vous êtes un enfant “illégitime”, tant pis pour lui, on ne change pas l’histoire ! Si on ne vous aime pas parce que vous êtes noir, ça ne nous empêchera pas de vivre. Tous les rejets produisent de la douleur mais on peut apprendre à vivre avec, en trouvant son propre chemin. « Ce que les autres vous reprochent, cultivez-le, c’est vous. »

Impossible de grandir, édité par Flammarion (21 €)

www.editions.flammarion.com

Fatou Diome sera présente pour des rencontres :

Au Salon du livre de Saint-Louis, place de l’Hôtel de Ville, du 3 au 5 mai (avec Paule Constant, présidente, Jean-Christophe Rufin, Axel Kahn…)

www.foirelivre.com

À la Médiathèque André Malraux de Strasbourg, samedi 18 mai (à 17h), dans le cadre de Café romans – Café lectures, du 11 au 25 mai dans différentes médiathèques du réseau

www.mediatheques-cus.fr

vous pourriez aussi aimer