La complainte du progès

© Sanne De Wilde

Commandée à l’auteur Jean-Marie Piemme, la nouvelle création de Jean Boillot au Nest, Rêves d’occident, revisite La Tempête shakespearienne à l’aune du transhumanisme.

Le Duc de Milan, Prospero, était un magicien redouté. Il devient ici un architecte visionnaire…
C’est un magicien d’une autre sorte qui transforme à sa manière la nature avec la science et la technologie. La réécriture de Jean-Marie Piemme se centre sur l’idée de progrès. Prospero devient un ingénieur et un aventurier se tournant vers l’utopie transhumaniste qui bâtit Prosperia.

Les personnages principaux sont pris dans un engrenage : celui de l’ambition dévorante et le scientisme de Prospero, le goût du pouvoir pour Sycorax (reine-mère de l’île sur laquelle il s’échoue et qu’il épouse) et même Caliban (fils de Sycorax) finira par remplacer ce dictateur venu d’ailleurs avec des « rêves qui seront ses propres marécages »…
Sycorax n’est pas une femme de pouvoir, même si elle y prend goût au contact de son amant qui le recherche par-dessus tout. Rêve d’Occident s’inscrit dans un travail sur une trilogie où la connaissance amène le savoir qui amène le pouvoir. La résistance qui en découle boucle la mécanique dramaturgique. Le progrès transforme tout le monde sauf la domestique qui reste au service des autres. Ils sont pris dans une course en avant tournant à la dystopie, où l’on pense sauver le monde en l’améliorant sans cesse. On passe des utopies du XVIe siècle à celui de leur réalisation dans la société égalitariste du XIXe, pour finir au XXe, dans la société de consommation, par en jouir avec énormément d’appétit. S’y retrouve projetée une forme de déprime actuelle et de tentation transhumaniste pour dépasser la mort. Caliban se réjouit du progrès – qui agit telle une drogue – apporté par Prospero.

Ariel, « l’infidèle serviteur » à la langue bien pendue, tentera de mettre fin à tout cela…
Il est le serviteur et l’ami. Et depuis Genet, on sait qu’il n’y a pas d’amitié sans trahison. Il croit au projet, soufflant même l’idée à son maître. Il raccorde tout tel un second mais s’aperçoit de l’aveuglement et de l’illusion qui dépassent Prospero, cet angle mort du progrès qui est l’inégalité. Jean-Marie Piemme mélange son écriture à des collages, des montages de styles épiques, comiques et narratifs. La mise en scène basculera d’une proposition classique à une irruption de la vidéo surveillance pour faire une sorte de théâtre augmenté saisissant.


Au Nord Est Théâtre (Thionville), du 27 mai au 4 juin

nest-theatre.fr

Au Théâtre de la Cité internationale (Paris), du 7 au 26 octobre

theatredelacite.com

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