Humains, trop humains

Photo tirée du film Present.Perfect (2019) de Shengze Zhu

À Belfort, le festival du jeune cinéma indépendant Entrevues explore les nouvelles écritures inspirées de la kyrielle d’images produites chaque jour sur le Net. Voyage en humanité, par le prisme du Web. 

En ce moment même, des milliers de caméras tournent à travers la planète, des millions d’images se déversent
sur la Toile. Un flot continu et vertigineux de visages rient, pleurent, témoignent, s’indignent, se confient, se mettent en scène, face caméra. Sur YouTube, des centaines de desperate housewives américaines se filment en train de faire le ménage chez elles. Tandis que des masses de net-citoyens chinois en manque de lien social diffusent leur quotidien en direct sur des plateformes de streaming, devant la machine à coudre de l’usine, tête casquée sur le chantier de construction, ou depuis la solitude étroite de leur unique chambre à vivre. Ces mines de matériaux audiovisuels sont devenues le nouveau territoire de nombreux jeunes cinéastes de talent, présentés dans la section Panorama du festival, consacrée depuis l’an dernier aux nouvelles formes d’écritures cinématographiques. Parmi eux, Shengze Zhu, dont le saisissant documentaire Present.Perfect (2019) réemploie ces images amateurs pour tisser une subtile mosaïque postmoderne de la société chinoise, en pleine ébullition, mais charriant aussi son lot de laissés-pour-compte. Autre aire géographique, autre faille dans la réalité : Eau argentée (2014), d’Ossama Mohammed, fait quant à lui le récit intime de la rencontre par écrans interposés du réalisateur exilé en France avec une jeune Kurde de Homs, dont les vidéos postées sur les réseaux sociaux lui permettent de suivre la révolution syrienne. « Ces dernières années on a vu arriver de plus en plus de films constitués entièrement de séquences Internet », raconte Elsa Charbit, directrice artistique d’Entrevues. « Cela fait écho à un genre très important dans l’histoire du cinéma expérimental : le found footage, qui s’appuie sur le réemploi d’images préexistantes et place le travail de montage au centre de la création. » Puisant dans cette accumulation sans fin d’images Internet, le found footage floute encore un peu plus la ligne de crête entre le vrai et le fake. Dans le fascinant Clean With Me (2019), Gabrielle Stemmer met précisément en scène le décalage entre ce que nos semblables montrent d’eux-mêmes et ce qu’ils cachent derrière les apparences de ces plans montés en vitesse accélérée. « Tout se passe comme sur un écran d’ordinateur », explique la jeune réalisatrice. « On visionne ces vidéos YouTube de femmes en train de vider leur lave-vaisselle, récurer leurs W.C. Puis on rentre au fur et à mesure dans l’envers du décor. On zoome dans l’image. On traque les petits indices de cette autre vie. Celle du hors-champs, où la solitude pèse et où prennent corps les gestes austères, répétitifs de ces femmes au foyer américaines. »


Au cinéma Pathé (Belfort), du 15 au 22 novembre
festival-entrevues.com

vous pourriez aussi aimer