Histoires troubles

On s'en va de Krzysztof Warlikowski © Magda Hueckel

Avec le festival suisse Culturescapes, La Filature mulhousienne organise un nouveau temps fort: un Focus Pologne mêlant danse, théâtre et expositions.

Si Grotowski et Kantor ont marqué l’art théâtral du XXe siècle de leur empreinte, ils comptent parmi leurs dignes héritiers Krystian Lupa et Krzysztof Warlikowski. Ce dernier revient pour la troisième fois à La Filature avec la troupe du Nowy Teatr de Varsovie pour une pièce tirée de Sur les valises d’Hanokh Levin. On s’en va est une comédie acerbe ponctuée de huit enterrements. L’auteur israélien y décrit par le menu la vie d’un quartier ployant sous la dépression face à un quotidien morose dont la mort apparaît comme seule échappatoire. Cette tragédie gorgée d’humour noir, portée par des comédiens à la présence magnétique, est déplacée dans la Pologne contemporaine, dominée par les réactionnaires du parti Droit et Justice de Jaroslaw Kaczynski, imposant des réformes ultraconservatrices. Loin de la flamboyance des décors warlikowskiens, Janek Turkowski accueille le public en tout petit groupe dans un salon reconstitué, avec coussins et tapis. Dans Margarete, il entame avec une incroyable simplicité une enquête performative sur les traces du quotidien d’une inconnue, Margarete Ruhbe, dont il a récupéré, au hasard d’un marché aux puces, 64 bobines de films 8 mm. Se dévoile entre images et récit fictif, un tableau documenté de la vie à l’intérieur du bloc de l’Est, menant l’artiste dans une plongée intime sur le souvenir, la nostalgie et le temps qui passe.

Margarete de Janek Turkowski © Maciej Rukasz.

Fantaisies
Plus performatif se veut Fantazja, créé en 2017 par Anna Karasińska, nouvelle star de la scène polonaise qui dynamite avec appétit les conventions théâtrales en se jouant des attentes des spectateurs. Sa présence maligne et espiègle rôde sur la pièce qu’elle guide en voix off, poussant ses comédiens à se glisser dans différents rôles sous le regard complice du public. Se succèdent ainsi un homme urinant dans la piscine, le type qu’on a toujours rêvé de croiser et qui tague les arrêts d’autobus, celle qui ne danse que sur les musiques qu’elle aime ou celui ayant emballé notre boîte de raisins secs dans un pays lointain dont le nom même nous est inconnu ! Les micro-fictions se succédant, pleine d’improvisation et de connivence avec l’auditoire, servent de révélateur d’un réel bien plus riche et drôle qu’il ne peut s’envisager au quotidien. De performance il est aussi question dans Cezary goes to war.

Cezary goes to war de Cezary Tomaszewski © Pat Mic

Détournant son passage devant le comité de conscription de l’armée – et son modèle militaire normatif et standardisé de masculinité –, Cezary Tomaszewski propose une danse en fuseau d’aérobic, loin de marcher au pas cadencé des bottes et des uniformes kakis. Sur fond de musiques et chants patriotiques, quand elles ne sont pas empruntées aux War Symphonies de Chostakovitch, le grand détournement à l’œuvre tourne en ridicule le sérieux du nationalisme actuel polo- nais comme les représentations genrées d’un pays profondément machiste.


Fantazja, à La Filature (Mulhouse), mercredi 9 et jeudi 10 octobre (en polonais surtitré en français et en allemand)
lafilature.org

Margarete, à La Filature (Mulhouse), du 10 au 12 octobre (en anglais traduit simultanément en français) mais aussi à La Kaserne (Bâle), du 15 au 17 novembre
lafilature.org
kaserne-basel.ch

On s’en va, à La Filature (Mulhouse), vendredi 11 et samedi 12 octobre (en polonais surtitré en français et en allemand)
lafilature.org

Cezary goes to war, à La Kaserne (Bâle), vendredi 15 novembre (aller-retour en bus au départ de La Filature (Mulhouse) à 18h30 sur réservation au 03 89 36 28 28)
kaserne-basel.ch
lafilature.org

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