Faire battre les cœurs

© Sammi Landweer (Fúria)

Sept structures culturelles rémoises créent FARaway en lieu et place de Reims Scènes d’Europe. Passage en revue d’une première édition dédiée aux artistes agitateurs.

Dix jours tous azimuts de bouillonnements artistiques tournés, pour ce nouveau rendez-vous, vers l’Afrique et le Brésil. Danse, performance, théâtre, musique et arts visuels sont au programme du Festival des Arts à Reims dont l’orientation défend des artistes engagés à l’esthétique renouvelant les formes actuelles de représentation. Ainsi en va-t-il des Amazones d’Afrique (30/01, La Cartonnerie), l’incroyable réunion dans un groupe All Star des plus grandes musiciennes du continent avec rien moins que Mamani Keita, Kandia Kouyaté, Mariam Doumbia (sans Amadou), Nneka ou encore Angélique Kidjo. Un projet transgénérationnel défendant les droits des femmes avec vigueur. Leur nom emprunte tout autant aux Amazones du Dahomey (actuel Bénin), corps de régiment militaire fondé au XVIIIe siècle, qu’aux Amazones de Guinée, ancien Orchestre féminin de la Gendarmerie nationale fondé en 1961 pour affirmer la place des femmes dans la société. Les Amazones modernisèrent la musique mandingue en usant à foison des guitares électriques. De racines il est encore question avec le chorégraphe Faustin Linyekula1. Il sonde les plaies toujours vives du passé colonial du Congo (01 & 02/02, Le Manège, en français et en kinyarwanda) en s’emparant du roman éponyme d’Éric Vuillard qu’il mêle à sa danse habitée.

© Agathe Poupeney (Congo)

Histoires de la violence
Plus sombre, Hate Radio (01 & 02/02, La Comédie, en français et kinyarwanda surtitré en français) place face-à-face les témoignages de génocidaires et de survivants du conflit rwandais par le prisme d’une reconstitution, dans un cube de verre, d’un studio de la RTLM. Nous vivons une journée de la Radio-Télévision libre des Mille collines qui joua un rôle prépondérant dans le drame du printemps 1994. C’est ici que s’invente la rhétorique de l’ennemi, du cafard (les Tutsis), l’appel au meurtre et les dénonciations sur les ondes. Le tout comme si de rien n’était, entre tubes internationaux, bières et éclats de rire. Un idéologue règne sur les mots, les détourne et les manipule, matraque une haine qui ne peut s’assouvir que dans l’éradication. Fruit de plus de 1 000 heures d’émissions écoutées et des déclarations des protagonistes lors de leur procès, Milo Rau signe une pièce haletante de réalisme froid, âpre de haine et d’incompréhension.

© Daniel Seiffert (Hate Radio)

Éloge de notre temps
La brésilienne Christiane Jatahy entremêle ses deux amours, cinéma et théâtre, par le biais du documentaire entre passé et présent, fiction et réalité. Le Présent qui déborde2 (31/01 & 01/02, La Comédie), second volet de son dyptique autour de L’Odyssée, évoque migration et accueil tout en questionnant la place du spectateur grâce à un dispositif dépassant toute frontière entre salle et scène. Autre figure des scènes internationales, le flamand Jan Lauwers présente Tout le bien (08 & 09/02, La Comédie, à partir de 18 ans) : un écho du travail de la compagnie installée dans le tristement célèbre quartier de Molenbeek lié à l’improbable rencontre entre une jeune femme convaincue de la bonté du monde et Elik Niv, ancien soldat d’élite de Tsahal devenu danseur après un grave accident. Un autoportrait fictif mêlé d’éléments autobiographiques, une histoire d’amour au milieu d’une Europe sombrant dans le repli et la haine. Une audace que ne renierait pas Lia Rodrigues. Avec son école de danse ouverte aux quatre vents dans la favela de Maré, l’une des plus violentes du Nord de Rio de Janeiro, la chorégraphe vit telle une Carioca, intensément dans le présent. Dans sa nouvelle création, Fúria (07/02 & 08/02, Le Manège), une dizaine de danseurs prolongent le travail entamé dans Pour que le ciel ne tombe pas. Le mythe des furies romaines, divinités des Enfers, est ici revisité à grand renfort de physicalité contrainte, corps secoués et tordus, tensions et tourments. S’y lit tout le désarroi d’une société gangrénée de violence et de coups du sort, de vies balayées par les balles perdues et les morts soudaines. L’hyper expressivité des interprètes, qui ne s’appartiennent plus, évoque leur possession par un mal-être dont l’exorcisme paraît impossible. Multipliant les postures de supplice et les attitudes de colère, de dégoût ou de souffrance, une rage les anime. Quotidienne et éternelle.

© Maarten Vanden Abeele (Tout Le Bien)

À La Cartonnerie, au Césaré, à La Comédie, au Frac Champagne-Ardenne, au Manège, à Nova Villa et à L’Opéra de Reims, du 31 janvier au 10 février
farawayfestival.eu

1 Lire notre article sur l’artiste associé au Manège dans Poly n°219 ou sur poly.fr
2 Voir Poly n°226 ou sur poly.fr

vous pourriez aussi aimer