Élise Vigneron et ses marionnettes dans Les Vagues

© Juliette Guidoni

En adaptant Les Vagues de Virginia Woolf pour un chœur marionnettique de glace, Élise Vigneron nous entraîne dans une méditation cosmique sur l’écoulement du temps.

Cinq moules en silicone et résine sont remplis d’eau, chaque veille de représentation, et placés dans un congélateur. L’opération est immuable, la solidification nécessite 12 à 15 heures pour donner corps aux pantins de glace à taille humaine rêvés par Élise Vigneron. Depuis une dizaine d’années, la fondatrice du Théâtre de l’Entrouvert, à Apt, chemine avec cette matière gelée et sa transformation à venir. Comme une métaphore de la fragilité de l’existence et de sa dimension éphémère face aux traces cosmiques – toujours en modification – qui nous constituent, les marionnettes prennent vie grâce à des fils reliés à des rails, cachés dans les cintres du théâtre. Sous l’effet de la chaleur et des lumières, leur temps est compté, obligeant les comédiens-manipulateurs à un perpétuel ajustement, au gré des fontes, des casses et des pans entiers de corps s’écrasant après avoir goutté, lentement. « Virginia Woolf qualifiait Les Vagues, de « play poem ». Elle esquisse les cheminements individuels de différents personnages pris à chaque étape de leur vie, en superposition aux variations atmosphériques d’un paysage marin, décrit tout le long d’une même journée. Dans ce long poème en prose, elle retranscrit de l’intérieur, leur métamorphose : pas d’actions, ni d’interactions, pas de dialogues, juste des voix », explique la metteuse en scène. 


Au plateau, ces solitudes à la recherche d’un soi se déploient dans un mouvement similaire de paroles qui s’entremêlent jusqu’à la choralité, de corps qui s’unissent dans la danse. « Ils finiront par oublier leur identité afin d’atteindre l’écoulement du temps et devenir océan. » Les “êtres-temps” qui nous font face, dont les corps translucides perdent leurs contours, transpercés par la lumière jusqu’à ne donner plus qu’à voir leur squelette en inox, content le flou des frontières entre visible et invisible, morts et vivants, monde intérieur et extérieur. Élise Vigneron s’éloigne d’une narration claire pour mettre en scène des personnages « comme des identités multiples et inassignables, filantes, traversées, mobiles et plastiques en prise directe avec le sensible », plaçant le spectateur face à différents niveaux de perception du monde. « Dans l’ombre, les marionnettistes sont les fantômes qui donnent vie à leurs personnages, re-jouant leur existence passée et à venir. » Ce renversement désincarne autant qu’il ouvre à une humanité globale, au sentiment d’un tout se reflétant, tel un miroir du monde, dans l’eau qui recouvre le sol. 


Au Manège (Reims) jeudi 7 et vendredi 8 décembre en coréalisation avec La Comédie de Reims (dès 12 ans)
manege-reims.eu 

> Représentation en Langue des signes française vendredi 8 décembre 

À La Comète (Châlons-en-Champagne) jeudi 1er et vendredi 2 février 2024
la-comete.fr 

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