Eclats du monde

© Simon Gosselin (Festen)

Quatre décennies que Perspectives, festival franco-allemand des arts de la scène, célèbre la diversité de la création contemporaine. Suggestions maison pour cette nouvelle édition.

Trois mille miniatures d’argile et de fil de fer, hautes de huit centimètres pour une pièce monumentale, tournant dans toute l’Europe depuis près de 15 ans : le Kamp de la compagnie néerlandaise Hotel Modern reconstitue dans ses moindres détails Auschwitz-Birkenau. Sans un mot, une heure durant ce trio de marionnettistes convoque l’enfer des baraquements, des chambres à gaz, des fours crématoires, des potences et des barbelés. Une description distanciée de la folie concentrationnaire et de l’industrialisation de la mise à mort par le biais de maquettes que le spectateur distingue en entier et dans lesquelles nous cheminons jusque dans les moindres recoins (des miradors aux dortoirs crasseux), grâce à de minuscules caméras projetant des images tremblantes sur un grand écran en fond de scène. Se distinguent des visages d’argile, bouches ouvertes à l’image du Cri silencieux de Munch, recouvrant une armature de fil de fer couverte de tissu rayé. Déportés errant tels des fantômes, maltraités par soldats et kapos. L’horreur dans son dénuement cru, soutenue par une bande-son minimaliste et un souci confondant du détail, imprime avec force les consciences, surclassant les plus grands discours.

Plan séquence

Autre forme théâtrale captivante et sortant des sentiers battus, celle de Cyril Teste adaptant Festen, premier film tourné selon la doctrine du Dogme95. Un manifeste signé en 1995 par des réalisateurs danois, Thomas Vinterberg et Lars von Trier en tête, en opposition radicale à l’esthétique hollywoodienne et aux avant-gardes passées. Une vingtaine d’années plus tard, le metteur en scène s’inspire de ces préceptes pour renouveler le genre théâtral à sa manière, grâce à la “performance filmique”. Un savant mélange des outils du 7e art et de la scène pour inventer un « cinéma vivant, en temps réel et à vue, dans lequel le spectateur oscille du film au jeu ». Bien plus qu’un remake, voici une pièce débutant par un long plan séquence projeté sur un écran surplombant le décor : Christian arrive en taxi devant le théâtre, téléphone en main, passe par les coulisses où les convives se préparent pour arriver sur scène au repas d’anniversaire organisé pour les 60 ans de son père. Ce dîner dans un manoir, véritable repas composé par un chef auquel quelques spectateurs sont conviés, tournera au règlement de compte familial sur fond de révélations de secrets, d’inceste, de racisme, de misogynie, de mépris de classe et de silence complice. Grâce à un steadicam traversant cloisons et vitres sans tain, le metteur en scène multiplie les points de vue, gros plans vidéo au plus près de l’action et tableau d’ensemble, allers-retours possibles entre ce qui est donné à voir et ce qui est caché, ce qui est de l’ordre de la vérité et du non-dit.

© Herman Helle

Folklores métissés

Pour donner corps à la relecture des traditions musicales et dansées des Alpes, il fallait bien quatre performeurs, tous musiciens. Dans Sons of Sissy, Simon Mayer propose une exploration dynamique et un brin irrévérencieuse des danses de groupe autrichiennes faisant littéralement exploser toute règle. Les tournoiements de derviche, avec jupes formant un couvercle à la vitesse du tournis deviennent une farce de danse de couple, les pas martiaux sont détournés en claquettes à l’instar de rondes où chacun tire dans le sens contraire. Piétinant allégrement les conventions habituelles, dynamitant le Schuhplattler, les Sons of Sissy ne sont plus ces Autrichiens en kilt se réunissant autour de rituels virils, mais des hommes tombant le costume pour mieux faire résonner leur clapping endiablé, marchant de profil les bras tendus comme des égyptiens sur hiéroglyphes. Tout devient prétexte à la rigolade, au pas de côté décalé : depuis la musique jusqu’aux pas de deux se tenant, main haute, par le petit doigt… Les amateurs d’ensembles plus importants se régaleront d’une soirée consacrée à deux chorégraphies de la star Angelin Preljocaj (Still Life et La Stravaganza, 11/06, Saarländisches Staatstheater, Saarbrücken). Pourtant nous ne saurions trop vous conseiller de vous plonger dans Näss (Les Gens) de Fouad Boussouf. Vitalité et intensité sont au menu d’une pièce s’inspirant de la culture gnawa. Sept danseurs y évoluent dans des élans hip-hop mâtinés de danse traditionnelle marocaine formant des rondes ultra rythmées et entraînantes. Pulsation de vie et vibrations inspirantes composée par Roman Bestion animent un spectacle diablement efficace et sautillant, battant la chamade de coeurs à l’unisson.


En Allemagne (Saarbrücken, Saarlouis) et en France (Forbach, Metz, Sarreguemines, Spicheren), du 6 au 15 juin

festival-perspectives.de

Kamp d’Hotel Modern, E-Werk (Saarbrücken), dimanche 9 et lundi 10 juin

Festen de Cyril Teste, E-Werk (Saarbrücken, co-accueilli avec Le Carreau, Forbach), vendredi 14 et samedi 15 juin en français surtitré en allemand

Näss de Fouad Boussouf, Theater am Ring (Saarlouis), jeudi 13 juin

Sons of Sissy de Simon Mayer, Alte Feuerwache (Saarbrücken), mercredi 12 juin

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